Gap -  Hautes-Alpes

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Sylvain Prudhomme a l’art de vous dessiller le regard qui n’appartient qu’aux grands écrivains (Lire)

Né en 1979, Sylvain Prudhomme a passé son enfance à l’étranger (Cameroun, Burundi, Niger, Ile Maurice) avant de venir étudier les lettres à Paris. Il est agrégé de Lettres modernes.
Après trois ans d’enseignement à l’université, il a animé des ateliers d’écriture.
Il a participé à la création de la revue Geste, et écrit des reportages pour le journal Le Tigre.
Son œuvre est une fenêtre ouverte sur le monde et surtout sur l’Afrique où il a vécu. Il a été directeur de l’Alliance franco-sénégalaise de Ziguinchor en particulier, dans la région de la Casamance. Le Sénégal a une frontière commune avec la Guinée-Bissau où il a connu le groupe Super Mamma Djombo qui sera la figure centrale de son dernier livre « Les Grands ».

La rencontre a porté sur ses deux derniers romans :

« Là, avait dit Bahi » Gallimard 2012 (a reçu le prix Louis Guilloux 2012)


Patricia présente le livre en faisant remarquer que pour elle, Sylvain a été la révélation de l’année 2012 avec son roman "Là, avait dit Bahi"  !

Là avait dit Bahi, ce sont les premières paroles du livre et c’est Bahi qui indique un endroit, pour raconter un incident qui s’était passé une cinquantaine d’années avant dans la ferme de Manucci. Manucci était un propriétaire terrien dans l’Ouest algérien, au Sud d’Oran et Bahi était le fils du forgeron de la ferme. Et une relation très forte existait entre Bahi et Manucci à tel point que celui-ci considérait Bahi comme son fils adoptif. Bahi raconte au narrateur qui est le petit fils de Manucci . Après 50 ans de silence Manucci a écrit à Bahi qui lui a répondu aussitôt et le petit-fils a tellement été séduit par la réponse de Bahi qu’il est allé en Algérie, à la place de son grand-père un peu trop vieux pour entreprendre ce voyage.
Tous les jours, Bahi prend son vieux camion à 4h du matin pour transporter du sable depuis une carrière jusqu’à des chantiers et le revend avec un substantiel bénéfice. Il emmène donc dans son camion le petit-fils de Manucci qui va écouter tout ce qu’il a à raconter. A travers ce récit il décrit la vie d’autrefois à la ferme, avec en toile de fond la guerre d’Algérie, la vie quotidienne de Bahi et toute l’évolution de l’Algérie indépendante. Il y a ces deux personnages- pivots, Manucci et Bahi , deux fortes personnalités hautes en couleurs et liées par une amitié qui a survécu à un demi-siècle.

 

Sylvain répond aux questions de Patricia et Anne-Marie

 

Le petit fils c’est moi. Tout est vrai dans le livre. Mon grand père a subi une blessure, comme beaucoup de gens qui ont quitté l’Algérie et il s’est beaucoup replié sur lui-même. Il a refusé de répondre à l’invitation qui lui était faite de retourner en Algérie,  par une  lettre très amicale, la balayant d’un revers de main : « il ne reste plus rien de ce qui était » et j’ai donc décidé d’y aller moi-même.

Il va donc y avoir le récit du passé, du côté algérien. Ce que le grand-père n’a jamais su c’est que sa ferme était un QG du FLN dont le chef était le père de Bahi. Et si Manucci a survécu, contrairement à beaucoup de fermiers qui ont été tués, c’est qu’il était protégé et il a pu ainsi échapper 4 fois à la mort. Et les premiers mots du livre Là avait dit Bahi font référence à la première visite de Sylvain sur le domaine de son grand-père. Bahi lui montre l’endroit où Manucci, présent dans les vignes du domaine, avait été épargné par un groupe de Moudjahidins cachés au même endroit. Un de ses ouvriers avait aussi été chargé de l’exécuter, ce qu’il n’avait pas fait. Il s’était enfui et avait lui-même été tué trois jours plus tard, alors que Manucci avait toujours cru qu’il avait trahi. C’est à partir de là que Sylvain a décidé d’écrire un livre.  Il voulait connaître cet homme avec qui son grand-père avait de telles affinités.
J’ai donc situé l’action aujourd’hui. Je suis dans le camion avec Bahi, et ce qui m’ intéressait ce n’était pas spécialement de raconter la guerre d’Algérie. Nous Français, voyons toujours l’Algérie à travers le film de la guerre d’indépendance. Moi étant là-bas et entendant le récit du côté algérien, je voulais replacer l’Algérie dans une mythologie fondatrice : la guerre c’était leur jeunesse, de belles années aussi, leurs 20 ans et leurs amours.  Ils racontaient avec beaucoup moins de douleur, plus d’humour, très différemment que lorsqu’ils parlent des années 90 et de la terreur. Je ne voulais pas du tout faire un roman historique.

Le style : Une seule phrase, pas de point, quelques virgules. On passe du présent au passé, de la narration au dialogue dans un même paragraphe, d’un personnage à un autre. J’ai essayé d’être fidèle à la parole de Bahi  et au mouvement de sa mémoire : quand on raconte, on bifurque facilement. Le livre je l’ai écrit assez longtemps après ; je me demandais quelle forme lui donner, j’ai un peu tourné autour, puis au bout d’un an et demi, j’ai laissé les choses remonter à la surface et j’ai fait confiance à l’ordre dans lequel les choses sont revenues.
Dans le livre le plus que parfait est souvent employé, un temps que Sylvain affectionne particulièrement. Je trouve que le plus que parfait rejette les actions dans le temps et ainsi tardent  à arriver jusqu’à nous.Il rejette les actions dans une sorte d’au-delà, alors que les actions arrivent très vite jusqu’à nous avec le passé simple, un temps que je n’aime pas.

Sylvain lit un passage du livre, celui où Bahi raconte qu’il s’est marié deux fois, la deuxième fois à l’insu de sa première femme. Un passage particulièrement truculent.

Les Grands – Gallimard, 2014

 

Les Grands, extraordinaire roman de Sylvain Prudhomme, raconte l'Afrique d'un ton juste et fort. Une véritable pépite de la rentrée littéraire. François Busnel (La Grande librairie)


I muri Couto, elle est morte….Celle qui est morte, c’est Dulce. C’était la chanteuse du groupe de musique les Super Mama Djombo, un groupe mythique de musiciens guinéens des années 70, (on est en Guinée Bissau). Couto, le personnage principal à qui s’adressent ces paroles, était le guitariste du groupe. Et Dulce fut son grand amour. Elle l’avait quitté pour se marier avec un homme puissant, l’actuel chef d’état-major des armées qui lui avait offert une vie plus facile, plus luxueuse. Après avoir appris la mort de Dulce, Couto va errer toute la journée dans la ville, submergé de souvenirs qui resurgissent. Dans ses pensées trente ans défilent, souvenirs de Dulce, la femme aimée, de la guérilla contre les Portugais, mais aussi des années fastes d'un groupe qui joua aux quatre coins du monde.
Est évoquée aussi l’histoire de la Guinée,  en particulier Amilcar Cabral, le Commandante, qui avait mené la guérilla contre les Portugais. Des passages montrent aussi la réalité contemporaine de la Guinée, la misère de certains quartiers, la ville gangrenée par la peur et la corruption, la dictature militaire et les coups d'Etat, la situation des immigrés qui en France, ont vu leurs rêves fracassés, leurs espérances fourvoyées. Et malgré tout le livre est une ode à l'amour, la fraternité, l'optimisme, la musique qui peut être un facteur d'identité nationale.

 


« Les Grands » désigne les anciens du groupe Super Mama Djombo, qui ont aujourd’hui la soixantaine. Ce groupe a accompagné l’indépendance du pays, chantait la liberté conquise. Ils ont fait connaître la Guinée-Bissau dans le monde entier. Ils allaient chanter surtout dans les pays eux aussi révolutionnaires, Cuba en particulier. Ce sont les jeunes chanteurs d’aujourd’hui, les rappeurs, qui les appellent ainsi, manifestant tout le respect qu’ils ont pour eux. « comme s’ils avaient eu devant eux des vieux un peu hors du coup maintenant ». 
  Moi ce que je voulais évoquer, c’est l’épopée qu’ils avaient vécue, leur aventure et que Couto soit un héros d’épopée, un peu éclopé, mais qui a gardé toute sa superbe. C’est un seigneur qui a gardé sa classe…Mélange d’ancienne gloire grisonnante et de branleur impénitent.
 Le guitariste qui a beaucoup inspiré le personnage de Couto conserve cette grandeur passée, ce charisme qui agrandit toujours sa légende. Cherifo n’a plus de musiciens, plus de guitare mais quand il assiste à un concert les musiciens ne manquent jamais de le faire monter sur scène et de lui demander de chanter. Et toute la salle se lève et se met à danser.

Les livres que j’aime sont les livres qui me vivifient, qui restituent la vie d’une façon juste . Je ne me pose pas la question du style . Je n’aime pas les livres où on voit qu’ils sont joliment écrits. La joliesse ne m’intéresse pas, ça me parait artificiel. Ce que j’aime c’est le ton juste. Comme le réel est complexe, fait d’engrenages, de ramifications, il faut trouver le ton juste.

Le rôle des femmes dans le livre : il y a Dulce, Esperanza, les minettes dans la rue et les bars. Sylvain lit un passage où une fille balance des hanches dans la rue. Les femmes, l’amour, le désir amoureux traversent le livre. Esperança, terre ferme quand tout dans Dulce était fêlé, sauvage.

Le livre est fait d'une seule journée. Quand Couto apprend la mort de Dulce, c’est l’après-midi, le moment où il se réveille et où la ville se réveille. Il se fait percuter par cette nouvelle triste, ce deuil qu’il ressent dans son intimité, dans sa chambre où se trouve aussi Esperanza, la femme qu’il aime maintenant. Et le passé aussi vient le frapper et il a besoin de plonger dans la ville. Et moi ce que je voulais c’est qu’on commence dans la tristesse de ce deuil, ce qui lui permet d’évoquer des souvenirs pour finir en fin de soirée dans une sorte de plénitude, d’un bonheur retrouvé en allant à la rencontre des autres.

Le présent du pays est raconté par le coup d’état qui se passe en fin de journée et qui va interrompre le processus démocratique des élections, coup d’état qui se passe entre les deux tours et qui empêche le candidat anti-corruption d’être élu. Ce que je voulais montrer c’est comment les musiciens du groupe et la ville tout entière répondent à ça, leur courage, leur refus de se laisser abattre, leur énergie qui leur fait continuer à affirmer la vie en faisant un pied de nez au coup d’état qui n’allait pas enlever la joie qui renaissait en fin de journée.
Avec la mort de Dulce et le coup d’état, on vit quand même la fin des illusions, c’est une époque qui se termine mais la relève est assurée avec les jeunes rappeurs qui prennent en charge l’envie de s’exprimer de la jeunesse. C’est vrai que c’est la fin de l’espérance révolutionnaire, comme ça se passe à Cuba, mais les jeunes rappeurs très engagés, ont une grande conscience politique. Ils veulent un exercice transparent de la démocratie et ont la volonté de changer les choses même s’ils n’ont pas de passé révolutionnaire comme les Grands. Ils n’ont pas vécu avec Amilcar Cabral  (Sylvain évoque la vie d’Amilcar Cabral qui voulait que les gens prennent leur destin en mains).

Un livre sur le temps qui passe, sur la mort. Les personnages âgés me touchent beaucoup, une vie qui s’est déjà déroulée… Regarder la trajectoire d’une vie, sa courbe. Couto est un homme qui n’a plus de succès mais il a gardé une grandeur, un rayonnement qu’il a toujours eus. Autour de lui tous sont abattus par le deuil qu’ils vivent mais mais le souvenir collectif qu’ils ont de Dulce agrandit ce souvenir. Et le concert qu’ils font en son honneur leur donne une sorte de bonheur.

Le groupe Super Mama Djombo

Ils ont été les ambassadeurs du pays dans toute l’Afrique ; ils étaient là quand l’Angola et le Mozambique sont devenus indépendants. Leurs chansons célébraient la liberté  qu’il fallait toujours conquérir. Ils n’hésitaient pas à dénoncer la corruption . Ont eu du succès pendant quatre, cinq ans puis le groupe a éclaté. N’ont eu le temps de faire qu’ une seule session d’enregistrement. Le seul moyen de les entendre c’était d’aller les voir en Guinée-Bissau. Ils jouaient au même endroit tous les samedis soir, ce qui leur permettait de peaufiner leurs morceaux. Le gouvernement leur a payé le voyage pour aller à Lisbonne faire des enregistrements  que tout le monde réclamait. Pendant un mois ils ont enregistré cinq vinyles. Le groupe s’est reformé il y a sept ou huit ans à l’invitation d’un producteur islandais qui les a emmenés à Reykjavik où on les voit en anorak et moon boots !!  Les chansons de cet enregistrement parlent de la Guinée actuelle. Certains des musiciens sont des anciens et d’autres des jeunes, nouveaux dans le groupe. Deux des musiciens sont immigrés à Paris ; la vie de l’un des deux, Malam, est évoquée dans la dernière partie du livre, à travers une conversion téléphonique entre lui et Couto qui a voulu lui apprendre la mort de Dulce. L'occasion pour évoquer la situation des immigrés qui en France, ont vu leurs rêves fracassés, leurs espérances fourvoyées.

La rencontre se termine en écoutant « Dissan na mbera » (« laissez-moi marcher tranquille ! »)
" qu’on respecte notre peuple, qu’on respecte les habitants de ce pays et leur droit à marcher simplement sur les routes, en paix comme ils l’ont toujours fait, sans risquer de se faire écraser par les grosses voitures"
" Laisse moi marcher de ce côté de la rue / Ne m'écrase pas avec une voiture officielle."
Une chanson que le groupe a chantée avec d'autres , au mariage de Dulce qui a voulu les inviter. Des chansons qui auraient dû heurter l’assistance, les faire rougir de honte, puisque ces chansons les provoquent, parlent de la corruption dont ils sont responsables. Mais tous applaudissent parce que ce sont des chansons qu'ils connaissent par coeur.

 

Sylvain et une lectrice, Françoise