L’équipe du Théâtre Narration de Lyon, Artiste Associée à La passerelle depuis sept ans,
était en résidence à Gap, en octobre 2005, pour la création de la pièce de Jean-Luc Lagarce « Les Serviteurs ».
Nous avons demandé à Gislaine Drahy d’animer un atelier de lecture à haute voix.
Elle nous a proposé de travailler autour d’un texte extrait de « Du luxe et de l’impuissance » de Jean-Luc Lagarce.
C'est avec Liliane David et Emma Mathoulin, deux comédiennes de la troupe, que nous avons
préparé et fait une lecture publique dans la galerie du théâtre, après une des représentations des "Serviteurs"
Le 11 Novembre 2005, Anne-Marie Smith et Josette Reydet (Littera 05)
ont rencontré Gislaine Drahy
qui a bien voulu leur parler de son travail, sa passion.
1. Un metteur en scène d’aujourd’hui : Gislaine Drahy.
2. Le théâtre : état des lieux selon Gislaine Drahy
3. Un incontournable du théâtre contemporain : Jean-Luc Lagarce
4. "Les serviteurs" : une création du théâtre La Passerelle
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Littera : Qui êtes-vous, Gislaine Drahy ?
Gislaine Drahy : J’ai fait des études de lettres ; de tout temps, c’est la littérature qui m’a intéressée; même plus, c’est la littérature qui m’a donné le goût de la vie. Je n’avais pas de vocation d’enseignement, en tout cas pas dans le système éducatif tel qu’il est. Quel était le lieu où je pouvais faire de la littérature un acte vivant ? C’était le théâtre. Je suis donc devenue comédienne pendant quelques années, puis il y a eu un moment de très grand dépit : le théâtre qu’on me demandait de faire ne correspondait pas à mes aspirations profondes. J’avais le sentiment de passer à côté de ma vocation. Que faire alors ? Quitter le théâtre ? Ou bien essayer d’inventer un petit bout d’espace théâtral aux prises avec mon désir le plus intime. C’est ce que j’ai fait en créant ma compagnie.
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Littera : Compagnie qui s’appelle « théâtre Narration », ce qui veut sans doute dire quelque chose ?
Gislaine Drahy : Oui, à cette époque, j’étais très fâchée avec les modes de représentation du théâtre, c’est d’ailleurs pour ça que je ne voulais plus être comédienne. Pour moi, une part essentielle manquait, un espace : celui de l’irréel de la littérature (je veux dire la manière dont la littérature me permet d’accéder au réel grâce au détour de l’irréel). J’avais absolument besoin au théâtre de cette respiration, d’une écriture qui n’ait pas comme visée la simple reproduction du réel.
Littera : Mais pour arriver à se faire connaître et reconnaître dans cet espace-là ?
Gislaine Drahy : Ce fut compliqué. Au début on m’a demandé si je faisais des arts plastiques, du théâtre, de la littérature, de la lecture… Je ne rentrais pas dans une catégorie et encore aujourd’hui on me dit : ah enfin tu travailles sur Jean-Luc Lagarce, enfin tu vas faire du théâtre ! Alors que ça fait vingt trois ans que je ne fais que du théâtre !
Littera : Théâtre un peu déconcertant tout de même ?
Gislaine Drahy : Bien sûr. En tout cas, si vous parlez de Jean-Luc Lagarce, son théâtre est bien destiné à la scène, mais il comporte une part fondamentale de récit. Pour moi, dès qu’on rentre dans le récit, c’est comme si une part de ciel s’ouvrait : l’imaginaire, la part d’enfance, ou comme dans les théâtres antiques quand sous le ciel les hommes venaient se poser des questions.
Je ne suis pas une personne pétrie de références ; certains spectacles m’ont énormément touchée, comptent beaucoup pour moi, mais le but du jeu, ce n’est pas de les imiter, c'est tenter très modestement, à ma manière, de leur répondre, en cherchant quelque chose qui m’appartient en propre. Même si comme chacun, je suis faite de nombreuses influences, je n’ai pas de souci d’imitation, de compétition, pas ou plus de souci de faire la preuve de ceci ou de cela. Ma démarche n’est pas là, elle est plus simple, plus désarmée, plus directe.
Littera : Est-ce que vous ne risquez pas de rebuter certains spectateurs, de travailler pour une « élite » ?
Gislaine Drahy : Je crois tout le contraire. Moi non plus je n’aime pas trop le mot, mais on ne peut pas dire que « l’élite » me soit beaucoup venue en aide; la preuve que je ne travaille pas pour elle, c’est qu’elle ne travaille pas pour moi, qu’elle peine à me reconnaître. C’est clair, je ne travaille pas pour ces gens de savoir et de pouvoir. Je ne souhaite pas être la première de la classe, je ne souhaite pas plaire à tous ceux qui détiennent…
Littera : Les intellos ?
Gislaine Drahy : Les faux intellos, les décideurs, les leaders… ça m’est complètement égal. Je travaille au contraire pour tout le monde, ou plutôt pour chacun ; pour chacun dans sa solitude, dans son intimité, et je travaille avec cette idée que l’intelligence, la confiance, le désir de grandir, la curiosité, l’ouverture du cœur, ce sont des choses que nous avons tous en commun. C’est à dire que je travaille parce que je crois que le sensible est quelque chose qui se partage, une quête de sens, une expérience à risquer, à tenter de mettre en commun. Une présence qui renforce le présent de chacun.
Littera : C’est pour ça que vous travaillez avec des lycéens par exemple ?
Gislaine Drahy : Oui. J'aime travailler avec les gens qui acceptent de sortir de leurs préjugés, et bien sûr avec ceux qui n’en ont pas encore. Toutes les idées établies m’ennuient ; ce qui m’intéresse, c’est ce qui peut se créer et se partager dans le même mouvement et en toute fragilité : le vivant, l’éphémère…. Peut-être qu’au théâtre, dans les formes que je propose, des gens ne reconnaissent pas le théâtre dont ils ont l’habitude. Qu’importe ! Hier par ex, il y avait de jeunes collégiens, je pensais qu’ils étaient un peu jeunes pour le spectacle, je suis allée les voir et je leur ai dit : Peut-être que vous n’allez pas tout comprendre mais ce n’est pas grave : quand vous faites un rêve, vous ne comprenez pas tout non plus ; acceptez juste de vous laisser transporter, si vous vous posez des questions, on en parlera après. Ne cherchez pas à identifier ou à comparer, laissez-vous impressionner, votre mémoire fera le tri. On dit souvent que la première censure pour un artiste, c’est l’auto-censure, c’est la même chose pour un spectateur…il faut qu’il ait confiance en lui !