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récits
que nous avons découverts au cours de nos lectures sur ce thème.
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En éclaireur. Yoko Tawada ; trad. du japonais par Dominique Palmé. Verdier, 2023. 160p.
Dans un Japon isolationiste post- Fukushima où l'usage des mots étrangers est interdit, Yoshirô, un écrivain réduit au silence, élève seul son arrière-petit-fils. Une dystopie en forme de conte philosophique.
A la suite d'une catastrophe nucléaire qui n'est pas nommée , le Japon s'est volontairement replié sur lui-même. Les aéroports et les ports sont fermés, les frontières infranchissables et surtout, tout engin électronique ou connecté supprimé faute d'électricité.
Une police des langues a été instaurée, interdisant de parler, lire ou écrire une langue étrangère, mais aussi d’employer tout mot ou expression d’origine étrangère.
Dans ce contexte étouffant où le quotidien est régi par un pouvoir totalitaire , invisible mais néanmoins écrasant, Yoshiro, écrivain centenaire, vit dans la banlieue de Tokyo où il s'occupe de son arrière petit-fils Mumei. Comme tous les jeunes de sa génération, c’est un garçon chétif dont le corps et l'esprit sont fragilisés par la pollution et les conséquences des radiations et qui ne saurait survivre au-delà de l'âge de quinze ans.
La femme de Yoshirô, son fils, sa petite-fille, sont partis vivre ailleurs dans le pays, en montagne dans un village isolé ou dans les îles du sud où l'on a besoin de bras pour cultiver les fruits et légumes indispensables à la survie de la population: « Yoshirô se demandait parfois si ce n’était pas génétique, cette propension à quitter sa famille pour aller voir ailleurs. Sa femme Marika, sa fille Amana et à présent son petit-fils Tomo... tous étaient partis on ne savait où, comme soufflés par le vent. »
Restés seuls, le vieil homme et l'enfant, à l'aide de mots nouveaux s'inventent un univers bien à eux, plein de finesse et de fantaisie. C’est la richesse de la relation qui unit ces deux êtres et celle qu’ils ont tous deux à la vie, aux mots et au langage qui sont au centre de cette histoire.
L'autrice ne s'appesantit pas sur les conséquences de la tragédie écologique, ni sur l'organisation de ce régime totalitaire. Elle le laisse deviner par petites touches, ce qui rend le contexte d'autant plus obscur et manaçant.
Mais Yoshirô et Mumei savent se protèger du monde extérieur en créant leur propre monde à l'atmosphère ouatée, éclairés par la flamme d'une bougie représentant l'espoir et une forme de résistance. Un univers bien à eux où la tendresse et l'intelligence leur permet de tirer de chaque instant une forme de bonheur.
Ce livre singulier à l’écriture musicale, sensorielle et poétique s’offre même le plaisir de nous offrir une fin si ce n’est heureuse du moins souriante et apaisée. Un livre original et rare à déguster en prenant son temps.
(Présentation : Catherine Soubigou)