Gap -  Hautes-Alpes

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 Dans le cadre de « Livres nomades »,
Littera 05 a accueilli Gilles Leroy
, le mercredi 25 mai 2011,
à la Bibliothèque Municipale de Gap, pour une rencontre avec des lecteurs.

Littera :
Deux de vos livres nous réunissent ce soir : Alabama song, paru en 2007 au Mercure de France et qui vous a valu le Prix Goncourt 2007 et Zola Jackson paru en 2010 au Mercure de France. Deux livres autour de deux femmes, deux Américaines que nous n'avons pas voulu séparer. En approfondissant votre oeuvre , il nous est apparu intéressant de rapprocher Zola de Zelda, épouse de Scott Fitzgerald.

   - Zelda : jeune aristocrate de Montgomery (Alabama), fille d’un juge issu de la bonne société puritaine et austère. Son avenir est tout tracé : elle épousera un homme de loi et assistera aux soirées dansantes du Country club. Mais Zelda est ambitieuse, intrépide, rebelle. Elle aime le foot, les garçons, le théâtre, le flirt. En 1918, à 18 ans, elle rencontre au bal Scott Fitzgerald, 20 ans, lieutenant en garnison, qui a du charme, l’ambition de devenir un écrivain célèbre.
Coup de foudre réciproque. Mariage à New-York en 1919  malgré le désaccord de ses parents.
Paillettes, soirées mondaines, hôtels de luxe, alcool, voyages à Paris, en France où on mène la belle vie. Ce couple mythique est en haut de l'affiche, adulé. Mais après cette ascension fulgurante, ils vont se brûler les ailes et ce sera une sorte de descente aux enfers.
Zelda, une femme qui a vraiment existé, une femme par laquelle vous semblez être fasciné; Dites-nous ce qui vous a fasciné en elle: est-ce le couple ? Est-ce l'époque ? Est-ce Zelda elle-même ? Pourquoi avez-vous eu envie d'écrire un roman autour de Zelda ?

Gilles Leroy :
C'est un peu tout ça. C'est vrai que l'époque des années 20 m'intéressait beaucoup aussi bien aux Etats-Unis qu'en France, parce que j'ai découvert que c'était une époque bien plus émancipée et libre que les années 50.  Il y a eu dans cette période, aussi bien aux Etats-Unis ou plutôt à New-York qu'à Paris et dans une moindre mesure  à Londres, une effervescence particulière : avec  les Ballets russes de Daïguilev, les peintres espagnols, le jazz et les premiers musiciens noirs des E.U. Il y a une énorme ébullition, une émulation intellectuelle aussi bien qu'artistique. J'ai eu envie de parler de cette époque où Paris avait plus d'allure que maintenant et en tout cas plus d'intérêt. Dans ce cadre-là j'ai placé ce couple qui – je ne sais pas s'il me fascinait – mais en tout cas m'interrogeait. J'ai découvert Scott  Fitzgerald en le lisant quand j'étais jeune homme, à l'âge de ses personnages – Gatzby surtout . Lorsqu'on lit  Fitzgerald, c'est toujours le même modèle féminin, même si la couleur des cheveux change, si elle est blonde ou brune, et je me suis intéressé à ce modèle féminin qui est donc Zelda. Quand j'ai découvert qui était cette femme, le sort invraisemblable qu'elle a connu, la violence incroyable de son existence, c'est vrai que, en tant que personne, elle est plus intéressante que Scott. Je ne parle pas en tant qu'écrivain , Zelda n'est pas un grand écrivain, ni une grande styliste : elle n'a fait qu'un seul roman – Accordez-moi cette valse – où elle décrit la même existence mais du point de vue de l'épouse; il a un intérêt documentaire très fort . Son personnage ou sa personne m'est devenu très …

Littera :
Est-ce sa fragilité qui vous a attiré ?

Gilles Leroy :
Oui sans doute mais Scott aussi. Il y a vraiment quelque chose de plus, je trouve qu'elle a un destin romanesque. Souvent, nous les romanciers nous vivons dans un univers de signes et nous avons besoin de signes pour bâtir quelque chose et la vie de Zelda est marquée par plusieurs signes dont un signe récurrent dramatique qui est le feu. On sait qu'elle périra par le feu, dans l'incendie de l'hôpital dans lequel elle était internée, sur sa propre demande d'ailleurs. Or l'histoire de Zelda est tentée par le feu : sa mère, sur un plan tout à fait symbolique, l'appelle Zelda, comme l'héroïne d'un roman américain, fin XIXs, La salamandre : ce livre met en scène Zelda, une danseuse; or Zelda n'aura de cesse de vouloir devenir danseuse et d'autre part la salamandre est cet animal mythologique qui traverse le feu sans se brûler. C'est étrange de penser que Zelda avait sa vie placée sous le signe du feu et que ce feu se répète sans cesse dans la vie de Zelda : quand elle était jeune, deux aviateurs qui la courtisaient, meurent dans les flammes lors d'un looping au-dessus de son jardin. Un jour elle a mis le feu – est-ce un acte manqué ? – dans une pièce où étaient une quarantaine de ses toiles qui disparaissent. Ce feu qui revient toujours est pour moi, romancier, le signe d'un personnage romanesque qu'on va pouvoir tenir en entier  sur cette métaphore du feu.

Littera :
Une partie du personnage, dans votre livre, relève de l'imaginaire et nous lecteurs on ne sait pas quelle est la part du réel et de votre imaginaire, car ce qui est important c'est le personnage de Zelda tel que vous le montrez . Dans un roman il y a toujours réalité et fiction et un livre est réussi si on ne distingue pas la limite entre les deux. 

Gilles Leroy :
Au quotidien je ne me pose pas ce problème de la réalité et de la fiction. Une fois que j'ai mon histoire en tête, avant de commencer à écrire, j'ai souvent longuement préparé et j'ai comme un film en tête avec des séquences, des scènes qu'il faut écrire. Quand je me mets à écrire, j'ai déjà dépassé cette histoire de réalité et de fiction car je suis dans un bain que j'ai entièrement construit et j'oublie la part du réel.

Littera :
Passons au personnage de Zola :
    - Zola : 2005 : L'ouragan Katrina arrive sur la Nouvelle-Orléans et ordre est donné de quitter les maisons. Zola Jackson, une vieille institutrice noire, refuse de quitter cette ville. Alors elle organise sa survie : elle colmate, calfeutre, protège et rassemble tout ce qu'elle peut. Elle remplit d'eau la baignoire, vide le congélateur, prend un dernier pack de bières et monte dans sa chambre, en compagnie de sa chienne Lady.
A deux heures du matin, l'ouragan se déchaine ; les digues cèdent  et les rues deviennent torrents qui emportent tout sur leurs passages. Les hélicoptères vrombissent dans le ciel, mais ils volent vers le centre-ville, là où sont les beaux quartiers ... Confinée dans sa chambre, Zola se laisse envahir par ses souvenirs et se rappelle ceux qu'elle a aimés, aujourd'hui disparus : Flash back vers le passé pour évoquer son mari Aaron et surtout son fils Caryl, cet enfant métis que ses camarades insultaient parce qu'il avait les yeux verts, un enfant très doué qui avait réussi ses études, dont elle était si fière mais elle refusait d’ accepter son homosexualité, elle appelait son ami Machinchose, ce qui créait  disputes et conflits entre eux.  Ce fils est mort.

Le personnage de Zola est-il un personnage imaginaire ? Comment est-il arrivé sous votre plume ?

Gilles Leroy :
Oui, c'est un personnage imaginaire dans la mesure où je l'ai entièrement inventé, créé. Je voudrais juste dire à propos du temps du livre, il y a en fait 2 temps dans ce roman :
La chronologie, on suit pendant 6 jours les événements. C'est découpé jour par jour, à chaque chapitre correspond une journée. On suit la progression ou plutôt la dégradation de ce qui se passe à la Nouvelle Orléans : il y a d'abord le vent, puis les digues qui cèdent, puis l'inondation, puis la canicule. La chronologie est découpée comme ça en séquences quotidiennes.
Mais il y a un autre temps que l'on découvre, c'est que cet ouragan Katrina en août 2005 rappelle à Zola – les souvenirs lui reviennent- l'ouragan de 1965 appelé Betsy au moment où elle venait d'accoucher de son enfant. A quarante ans d'écart, le même jour – les 2 ouragans ont frappé le 28 août - il y a pour elle une sorte de déclencheur de mémoire et pendant que sa maison croule sous l'eau, instinctivement, toute sa vie et la vie avec son fils ont resurgi.
En fait, Zola Jakson est arrivée d'une façon assez étrange. Je ne sais pas s'il m'était déjà arrivé quelque chose d'aussi étrange avec un personnage de roman. C'est que, depuis une trentaine d'années peut-être, j'avais envie d'écrire sur quelque chose de très particulier qui est la perte d'un enfant. Je voulais un jour affronter cette chose, cette douleur impensable. C'est parce que lorsque j'étais très jeune - j'avais une vingtaine d'années - j'ai perdu coup sur coup dans une sorte de série noire incroyable, trois amis, deux de mort violente et une dans un accident de voiture, très bêtement.
Je me suis retrouvé dans cette position très étrange, endeuillé de mes amis et comme je connaissais leurs parents, j'ai essayé de les accompagner, de ne pas perdre le lien avec eux, de garder le contact et de voir comment ils supportaient, comment ils allaient s'en remettre ou pas. Tout le monde ne s'en est pas remis et je me suis dit : un jour, j'écrirai sur ce qui est, je crois, le drame le plus atroce que l'on puisse vivre dans une vie. Je cherchais des personnages de femme donc, je voulais que ce soit une mère, je ne trouvais pas, je tournais en rond. J'ai imaginé des choses qui ne me ressemblaient pas, je cherchais vraiment dans toutes les directions, roman, théâtre, et j'avais même oublié ce projet. J'avais même renoncé à force de tâtonnements et lorsque j'étais en Alabama pour écrire la fin d'Alabama song, à un moment dans la chambre où je travaillais et où il y avait en bruit de fond une télévision allumée – parce que j'ai besoin d'un bruit de fond quand je travaille – j'ai entendu les mots Katrina et je me suis retourné, j'ai regardé ce que c'était, c'était un extrait de documentaire de Spike Lee. Là, il avait réalisé son premier documentaire sur Katrina, sur les conséquences de Katrina. J'ai vu à un moment en gros plan, une femme à sa fenêtre avec de l'eau jusqu'à la dernière fenêtre de sa petite bicoque en bois blanc. Cette femme, fenêtre ouverte, qui regardait le ciel, qui implorait peut-être Dieu – en l'occurence, ma Zola à moi, elle n'est pas très croyante, elle a un rapport à Dieu en tout cas compliqué -  ou les secours, elle implorait quelque chose qui viendrait du ciel, pour une fois pas la tempête.  Et l'image de cette femme noire, seule à sa fenêtre m'a frappé, elle n'avait pourtant rien de spectaculaire mais j'ai regardé cette femme et je me suis dit : ce sera elle la mère endeuillée dont je veux parler depuis si longtemps. A partir de là, j'ai inventé ce personnage, je lui invente une histoire, j' invente aussi une histoire à ce fils. Voilà, j'ai fait mon boulot de romancier . Ce qui est très étrange c'est cette révéla tion, cette épiphanie d'1/10 de seconde où une image tout à fait étrangère, à la télé, vous donne la solution à quelque chose que vous cherchez depuis 25 ans. Ca, c'était assez magique, quelque chose d'un peu sorcier, très étonnant.

Littera :
Mais la mère est quand même un thème que l'on retrouve beaucoup chez vous ?  C'est un thème récurrent ?

Gilles Leroy :
Oui, bien sûr.

Littera :
On pense à votre livre Maman est morte. Vous parlez de la relation que vous avez eu avec votre mère, et surtout comment vous avez vécu sa mort.

Zelda et Zola : Deux femmes à qui vous avez donné la parole. Elles l'utilisent en employant le « je », la 1ère personne. Comment en êtes-vous arrivé à la nécessité d'employer le « j e » ? Vous auriez pu très bien faire votre roman à la 3e personne.

Gilles Leroy :
Les raisons sont très différentes d'un livre à l'autre . Pour Alabama song, il fallait faire ce choix de raconter une histoire du point de vue de Zelda, pas du point de vue de Scott; En même temps, je me suis dit : Scott a beaucoup écrit sur leur vie puisque tout est très autobiographique dans les écrits de Scott. Et puis je me disais que de ma part, ce serait assez banal de prendre la voix d'un autre romancier. Ce serait un peu attendu, ça m'ennuyait, ça ne m'excitait pas assez. J'aime bien, à chaque nouveau livre, me lancer un défi formel. J'aime bien qu'à chaque fois, il y ait quelque chose qui complique, un obstacle à surmonter, - même si je le crée de toute part - qu'il y ait un enjeu esthétique, une sorte de performance. Donc, j'ai imaginé que ce serait Zelda , vue du point de vue de Zelda. Imaginer ensuite de le faire à la 1ère personne c'était assez compliqué . D'abord, je me suis dit que j'étais complètement fou, que c'était dangereux, que j'allais sans doute me planter ou sinon  me prendre des volées de bois vert de la part de la critique et de quelques lecteurs. En fait, j'ai fait des essais, une ou deux pages pour voir si ça fonctionne et j'ai trouvé que ça fonctionnait. Donc, au bout de deux jours, ma décision était prise et j'ai écrit tout le roman à la 1ère personne. La chose à laquelle je n'avais pas pensé - d'abord c'est pas compliqué autant qu'on pourrait le croire d'écrire dans l'autre genre, dans l'autre sexe , c'est même assez simple – c'est que mon héroïne Zelda Fitzgerald à un moment, perdait la tête et que parlant à la 1ère personne, j'allais moi devoir me glisser dans ce déraillement, dans cette folie progressive et là, effectivement, c'était dur. C'était difficile et même dangereux, éprouvant, amusant aussi, parce qu'au bout d'un moment, on s'étonne, on se dit Tiens, c'est bizarre, où est-ce que je trouve autant de facilité à faire parler quelqu'un de fou?  C'est bizarre, ça devrait être plus compliqué, mais pas tant que ça. Après coup, ça m'a fait rire, c'est un peu comme une boutade parce que, quand on finit un roman, on est parfois un peu surpris parce qu'il ya des choses qu'on n'avait pas forcément prévues au programme mais qui sont là et assez troublantes.
Après, pour Zola Jakson, c'est un peu pareil, toujours cette idée que ces femmes, toutes les deux aussi différentes soient-elles, sont des femmes de trempe, de caractère, avec des destins très, très violents. Je me disais qu'il valait mieux le dire aussi à la 1ère personne, parce que j'ai découvert quelque chose avec le temps, et avec les quelques livres que j'avais écrits avant Alabama song, c'est que – on va dire que la moitié de mes livres étaient auto biographiques, l'autre moitié  du roman/roman parce que je ne sais pas comment dire, des vraies fictions, des fictions pures –  lorsque j'écris à la 1ère personne, même si ce n'est pas tout à fait moi,, le « je » qui parle , ça crée une plus grande proximité avec les lecteurs. Par définition dire « il »ou « elle » c'est tenir le personnage à distance  et ça valait le coup de se rapprocher de son sujet, être son sujet et essayer d'entraîner le lecteur dans cette histoire, dans ce jeu-là.

Littera :
Vous ajoutez, dans Alabama song, un souvenir personnel à la fin, une touche personnelle, un message envoyé à quelqu'un, un amour qui avait voulu décider de votre vie en vous décourageant d'écrire. Est-ce que ce n'est pas pour vous une façon de tisser un lien particulier avec Zelda ?

Gilles Leroy :
Si, bien sûr, parce que Zelda a ressenti l'attitude de Scott plus d'une fois, comme une interdiction d'écrire. De fait, Scott estimait qu'il ne devait y avoir qu'un écrivain dans le couple et c'était lui. Il ne s'est pas toujours comporté comme un homme formidable à l'égard de Zelda.
La fin d 'Alabama song est un peu particulière. Je parlais tout à l'heure de la façon étrange dont Zola m'était apparue sur un écran de télé. Là, avec Alabama song il s'est posé un problème que je n'avais pas deviné – j'aurais pu quand même parce que j'étais pas un débutant  et je me suis fait avoir comme un débutant – c'est à dire que c'est bien gentil de dire « je » pour Zelda Fitzgerald mais comment dire sa mort ?
Je me suis retrouvé à la fin du livre  et maintenant, il faut écrire sa mort !  J'étais pris dans un piège pas possible, je me suis dit, je ne vais pas faire comme les grosses dames rousses sur la scène des opéras qui mettent une demi-heure à mourir  « Ah je meurs dans les flammes! Je meurs dans les flammes ! » C'était pas possible, donc, il fallait trouver un artifice plus crédible que ça. C'est là où j'ai repris la parole en écrivant tout simplement ce qui se passait en Alabama où j'étais parti sur ses traces et du coup, je reprends le contrôle du récit. J'explique que je tombe sur les coupures de presse qui annoncent la mort de Zelda dans son asile. Voilà ! Parfois, les lecteurs ne savent pas pourquoi arrive quelque chose, pourquoi tout à coup, il se met à parler pour lui,  c'est une petite chose technique.

Littera :
C'est pour ça que vous n'avez pas fait mourir Zola dans l'eau ? Elle aussi aurait posé le même problème.

Gilles Leroy :
Non, là c'était pas possible, je ne pouvais pas.

Littera :
On vous l'a reprochée cette fin ...apaisée.

Gilles Leroy :
Provisoire. IL y a pas mal de lecteurs qui m'ont dit «  Merci, c'est bien » Elle ne meurt pas à la fin, on ne sait pas très bien où elle va. C'est une fin en suspens puisque rien n'est réglé.

Littera :
Il y a quand même une réconciliation.

Gilles Leroy :
Laissez-moi continuer, vous allez voir. C'était l'année dernière, le livre venait de sortir, j'intervenais dans un collège de ZEP avec des élèves en très grande difficulté. C'est un programme où on fait venir un écrivain 2 ou 3 fois dans l'année, espérant que ça provoquera un déclic chez des gamins parfois au bord de l'illettrisme . Ils ont lu Zola Jakson avec leur professeur, j'y suis allé , ça s'est plutôt bien passé. Mais je sentais que quelque chose les titillait, qu'ils n'osaient pas me dire  un truc. Qu'est-ce que vous avez à danser comme ça sur votre chaise, dites-moi ce qui ne va pas. L'un d'eux, plus culotté que les autres répond  Il y a un truc qui ne va pas du tout Monsieur. La fin, c'est pas une fin, il est pas fini votre livre. - Comment ? - Ils partent sur la route, on sait pas ce qu'ils deviennent, c'est n'importe quoi … Comme le projet  était de les pousser un peu à écrire et que moi, je n'avais aucune idée sur quoi les faire travailler, je leur ai dit  Vous savez quoi, vous allez écrire la fin. Et donc, ils ont écrit une fin. Ce qui est très drôle , c'est que Zola achetait une maison, accueillait sa nièce Nina qui épousait le chanteur. Troy, l'ancien amant de Caryl se mariait et avait des enfants (rires). La prof leur a demandé de faire un effort et de rester dans le vraisemblable parce qu'il y a des limites (rires) !

Littera :
Sur ces deux héroïnes, j'aimerais m'attarder. Zelda refuse le puritanisme américain, veut choisir librement sa vie, est contre le politiquement correct. Zola  s'est elle aussi éloignée de la trajectoire qu'on établissait pour elle.  Donc, ce sont  deux rebelles qui défient leur destin. Est-ce que la littérature est le lieu par excellence de la transgression ? Est-ce que les personnages n'ont de consistance que s'ils transgressent ?

Gilles Leroy :
Oui, moi je m'intéresse plus à ce genre de personnages. Ce à quoi je m'attache surtout, c'est à l'ambiguité des personnages. Bien sûr, la transgression est une dimension importante mais j'aime bien travailler sur les personnages ambigus. Il y a quelque chose chez Zelda comme chez Zola de pas très sympathique parfois. Zola, dans sa dureté, dans ses propos amers, dans sa violence, peut sembler assez insupportable. Mon travail de romancier –  je ne peux travailler que sur des personnages que j'aime, je ne pourrais pas inventer un personnage que je déteste et passer 300 pages avec lui – est d'entraîner le lecteur à dépasser les apparences, à entrer profondément dans cet esprit, dans ce coeur humain. Zelda aussi a des côtés très irritants, si j'en crois certains lecteurs. On ne peut pas faire des personnages tout bons, tout mauvais, tout blancs, tout noirs. Ce serait sans intérêt.

Littera :
Zola, j'ai eu du mal à la comprendre. Il y a un sentiment de culpabilité qui s'insinue en elle. Ce sentiment est-il lié à la religion ? A un moment, vous lui faites dire  Cet amour, je l'ai condamné -elle en veut beaucoup à son fils d'être homosexuel-  Pourquoi lui en veut-elle ? Cet amour je l'ai condamné au nom de ce que je méprise le plus, la reproduction. Plus loin, sa nièce Nina lui dit  Tu l'aurais accepté à cette condition qu'il ne soit pas pratiquant ! Vous faites intervenir 2 fois la religion.

Gilles Leroy :
Pratiquant, c'est un jeu de mots, ce n'est pas pratiquant religieux, c'est homosexuel pratiquant.

Littera :
Et l'idée de la reproduction ?

Gilles Leroy :
C'est très fréquent que les parents de jeunes homosexuels  disent  Je serai pas grand-père ou pas grand'mère, comme si c'était l'essentiel.

Littera :
Donc, il n'y a pas l'idée de Dieu, de culpabilité ?

Gilles Leroy : Non, pas là, non.

Littera :
Donc la 1ère raison qui lui fait refuser l'homosexualité de son fils, c'est de ne pas être grand'mère ?

Gilles Leroy : Je crois que Nina le dit bien. Nina lui explique qu' elle n'aime pas Troy parce qu'il est Blanc, mais s'il avait été noir, elle ne l'aurait pas aimé non plus. Si ça avait été une fille blanche, ça n'irait pas non plus, et si c'était une fille noire, ça n'aurait pas plu non plus. Donc, on parle d'une mère Zola aux limites d'être abusive avec son fils. C'est la grande possessivité quand même, une fusion limite, très limite .

Littera :
Mais, elle arrive à se juger à la fin ? Elle dit : c'était un bel amour, un grand amour et je l'ai pas vu au bon moment.

Gilles Leroy :
Oui, c'est l'apaisement. Pour en revenir au sujet principal du livre qui est la perte d'un enfant, c'est que très souvent pour les parents qui survivent, il y a une très grande culpabilité. Dans leur souffrance, ils ne se rendent pas compte que c'est injuste. Ce n'est pas de leur faute mais le sentiment de culpabilité est rarement justifié. J'ai plus travaillé le rapport de Zola avec son fils autour de la culpabilité. Dans tout ce qu'elle peut se reprocher, il y a le fait de lui avoir trop demandé lorsqu'il était enfant pour qu'il devienne un élève brillant mais aussi le fait qu'elle lui ait reproché d'être homosexuel. Dans ce cas-là, dans cette culpabilité, on se sent responsable de tout. On s'en veut pour tout. Quand on perd quelqu'un, il y a toujours des paroles qu'on regrette d'avoir prononcées. Ces paroles vous obsèdent, vous ne pensez plus qu'à ça. Vous voudriez les rattraper, vous ne pouvez pas.

Littera :
Et puis, elle voyait son fils, elle l'imaginait. Il ne correspondait plus à l'image qu 'elle s'était faite de lui  et lui en voulait. Par exemple, lorsqu'il refuse un poste prestigieux à New-York pour rester à la Nouvelle Orléans comme enseignant, puis son homosexualité.

Gilles Leroy :
C'est même la source principale de conflit. Le travail intéressant dans la psyché d'un personnage qui m'était totalement étranger, c'est qu'on découvre peu à peu Zola ; elle se compose un peu comme un puzzle. On comprend à un moment  que l'énorme déception, pire que tout, c'est qu'elle découvre que son fils refuse une chaire à Harward  pour aller enseigner dans un lycée minable à des voyous d'Atlanta. Tout ça parce qu'il veut rester avec son compagnon Troy qui vit à Atlanta. C'est ça la vraie colère. Elle a tout misé sur son fils – prix Nobel peut-être – Elle ne comprend pas , c'est une histoire sentimentale, elle voit son château de cartes s'effondrer  et ça, elle ne peut pas l'accepter. Elle est très ambitieuse.

Littera :
Oui, elle voulait pour son fils ce qui, pour elle, semblait une belle vie !
Les deux romans se passent aux Etats Unis. D'un côté, Alabama song se passe en partie dans le Sud, en Alabama  puis à New-York dans les années 20, les années 30 .Est-ce que c'est une Amérique que vous aimez, l'Amérique des années 20, des années 30 ? Pourquoi ?

Gilles Leroy :
L'époque, je l'aime bien mais je crois qu'il valait mieux les vivre en France ces années-là . C'est ce qu'ont fait tous ces auteurs : les Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos, tous ceux qui sont partis, la fameuse génération perdue – on a dit un peu par dérision que le franc n'était pas cher pour le cours du dollar – Tout d'un coup, ces jeunes écrivains dans la dèche vivaient grand luxe à Paris. C'était peut-être un peu vrai mais pas pour les Fitzgerald car Scott avait beaucoup d'argent à New-York. Non, ils allaient vers la France, vers l'Europe pour chercher une forme d'émancipation, une vie plus légère.

Littera :
Oui, mais ces paillettes cachent une fêlure plus profonde ?

Gilles Leroy :
Je ne dis pas le contraire. A cette époque-là, c'est la prohibition...

Littera : Chez Gatzby, c'est la même chose. Cette vie de paillettes ne comble pas ses fêlures.
Et puis dans Zola, vous montrez la face cachée du rêve américain. C'est le Sud, l 'Amérique noire, les laissés- pour- compte. Vous parlez de la façon dont les secours ont été organisés en priorité pour les beaux quartiers et qu'on a laissé les pauvres se dépatouiller tout seuls. Est-ce que ce n'est pas là la face qu'on veut cacher de l'Amérique ? On n'en parle que lorsqu'il y a des ouragans...

Gilles Leroy :
C'est vrai que c'est l 'Amérique qu'on ne connait pas. Moi-même je ne la connaissais pas, je ne connaissais que les villes de la Côte Est et les villes de la Côte Ouest. L'Amérique profonde, je n'y avais jamais mis les pieds, je ne savais pas; C'est pour ça que je voulais voir l'Alabama, pour écrire Alabama song et je n'ai pas été déçu du voyage. En 2007, l'Alabama était l'état le plus pauvre et il ne fait pas bon être pauvre aux Etats Unis, c'est très mal vu. L'Alabama est non seulement pauvre mais rejeté par l'administration Bush. On voit des choses assez étonnantes pour qui vit en Europe. Il y a encore une forme de ségrégation qui ne dit pas son nom  parce que les lois ont été abolies  mais c'est encore dans les mentalités, dans les regards, dans la façon dont les Blancs évitent les Noirs systématiquement. C'est très particulier. C'est seulement en 2000 que la loi interdisant les mariages inter raciaux a été abolie. Jusqu'en 2000, on pouvait encore aller en prison si un Blanc épousait une Noire  ou l'inverse. Vous voyez qu'on est encore dans un monde très différent du nôtre. On ne s 'en rend pas bien compte et ces choses-là me sont restées en tête. Pour le coup, l'histoire de Katrina était l'occasion de les traiter dans le livre.

Littera :
Les thèmes du racisme, de la différence  vous tiennent à coeur et reviennent souvent dans vos livres. La différence qu'on n'accepte pas.

Gilles Leroy :
Oui, c'est vrai.

Littera :
Et puis sur l'Amérique, vous avez pointé  dans Zola Jakson, la mauvaise organisation des secours, l'indécence des médias qui viennent au-dessus des zones inondées non pour porter secours mais pour prendre des photos. Ce voyeurisme des médias qui s'en donnent à coeur-joie lors d'un événement quelconque, c'est ça aussi l'Amérique ?

Gilles Leroy :
L'histoire. n'est pas si simple. Ce n'est pas que les secours n'ont pas été organisés, c'est qu'il n'y a pas eu de secours. Il a fallu attendre 5 jours pour que G. Bush décide d'envoyer 500 militaires sur place. On est la plus grande puissance économique au monde  et le traitement de cette affaire est totalement ahurissant. La gouverneure de Louisiane est en conflit avec le maire de la Nouvelle-Orléans. Au lieu de s'associer, ils se font la guerre  par médias interposés. C'est une histoire assez accablante et pendant ce temps, des gens mouraient dans leur grenier; Les médias ont eu un rôle bénéfique; parce que l'administration Bush tenait tout ça sous le couvercle. En fait, aux Etats Unis, personne ne se rendait compte de ce qui se passait à la Nouvelle Orléans selon ce principe très, très étatsunien  que ce qui compte d'abord, c'est ma bourgade, au-delà c'est mon comté, au-delà mon état, éventuellement l'état voisin. S'il se passe quelque chose, peut-être que le journal en parlera. Quant à parler de ce qui se passe à l'étranger, c'est encore une autre histoire ! Les médias ont été alertées par l'initiative de Sean Penn qui a compris ce qui se passait et a décidé de venir avec une équipe : 2 ou 3 caméras, 2 ou 3 bateaux et il a révélé tout à coup aux médias américains ce qui se passait réellement. Il a filmé les maisons sous l'eau, les morts, les gens qui appelaient au secours sur les toits des HLM . A ce moment-là les télés sont venues  et ça a été bénéfique parce que Bush a eu honte et a été obligé de faire quelque chose sans descendre de son quant à soi  parce qu'aller voir les populations aurait été trop risqué sans doute. Non, les médias parfois servent à quelque chose.

Littera :
Bien, sur les médias n'allons pas plus loin ! Sur les personnages, j' aimerais que vous disiez 2 mots sur Lady qui est un véritable personnage.

Gilles Leroy :
Oui, bon ! J'ai du mal à admettre qu'un chien est un personnage. En tout cas, c'est un élément important pour le livre.

Littera :
Pour finir, quelques mots sur la façon dont vous écrivez. Comment les mots viennent à vous ? Est-ce qu'ils  s'imposent à vous ou est-ce qu'il faut que vous alliez les chercher ? C'est facile ou c'est difficile ?

Gilles Leroy :
Non, en général ça s'impose, ça vient facilement. Je n'ai pas de difficultés avec ça. Moi, mes grandes difficultés c'est ce dans quoi je suis en ce moment, depuis quelques semaines sinon quelques mois, c'est la préparation du livre. Après, une fois que je suis dedans, tout va bien. En plus, je suis heureux, je fais ce que j'ai envie de faire, on me fout la paix.

Littera :
Là, où en êtes-vous ? Il y a un livre qui se prépare ?

Gilles Leroy :
En ce moment, je suis dans les derniers affres parce que je n'ai pas encore  tout à fait décidé de la structure du livre. Donc, c'est pas marrant. Mais une fois que ce sera décidé, j'aurai plus de souci.

Littera :
Et vous ne pouvez rien nous en dire ?

Gilles Leroy :
Bah non !

Littera :
Même pas un tout petit peu ?

Gilles Leroy :
Non parce que j'ai l'impression que si j'en parlais, je déflorerais mon sujet à mes propres yeux, à mes propres oreilles. Je préfère le garder comme ça, secret. De toute façon, il est tellement  même pas commencé que je ne vois pas ce que je vous en dirais.

Littera :
En tout cas,votre écriture est très belle et je finirai par là  : les descriptions que vous faites de l'ouragan, très précises, presque tangibles. Et bien sûr, la façon dont vous faites parler les personnages , nous en avons parlé tout à l'heure.