Le dernier Lapon – Olivier Truc – Ed. Métaillé, 2012
Le point de départ de cette rencontre c’est un livre nomade « Le dernier Lapon » de Olivier Truc. Un polar ethnique qui se passe en Laponie, région qui s’étend au Nord de quatre pays : Norvège, Suède, Finlande et Russie. On en parlera dans la 2e partie de la rencontre.
Le film « La police des rennes » :
Nous avons voulu introduire cette rencontre par un film réalisé par l’auteur quelques années auparavant. Il nous dira lui-même dans quelles circonstances il a pu faire ce film.
Noémie Llorach (étudiante en sciences de l'information, Université de Haute Alsace) nous présente le film sur la page /
http://programme-tv.nouvelobs.com/documentaire/police-des-rennes-127613/
Panique sur la toundra : quarante rennes viennent de se tuer en glissant dans une crevasse. Plus loin, le long de la grande route qui traverse cette région semi-désertique, gisent des cadavres de cervidés percutés par des voitures. La transhumance a commencé et, avec elle, tout un cortège d'incidents et d'accidents. Steinar Bidne et Bjarte Takkam prennent leur 4X4 pour se rendre sur les lieux. Ces deux hommes appartiennent à la police des rennes, créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour protéger les rennes. Durant une année, Olivier Truc a suivi le travail de ces forces de l'ordre atypiques, qui sillonnent la Laponie norvégienne pour faire régner la paix.
Le livre « Le dernier Lapon » :
Nous sommes dans les années 2000, en Janvier, dans la vallée de Kautokeino, et la température atteint les -30°.
Le livre va se dérouler du 10 au 28 janvier. Le 10 janvier on est encore dans la nuit polaire, le 11, le soleil réapparait pendant une vingtaine de minutes après avoir disparu pendant deux mois (la nuit polaire). Deux longs mois pendant lesquels les hommes ont perdu leur ombre. Le livre se déroule sur 18 jours et pour chaque jour l’auteur nous indique en début de chapitre l’ensoleillement (Le 11 janvier, 20 mn ; le 28 Janvier, ce sera pendant 5 heures).
Deux policiers de la police des rennes, Klemet, un Lapon, et la jeune Nina, parcourent en motoneige le vidda , vaste étendue de toundra glacée. Leur travail : surveiller les troupeaux de rennes pour qu’ils ne se mélangent pas. Mais très vite ils vont être confrontés à un problème plus grave : un tambour sami a été dérobé dans un musée dédié au mode de vie lapon. Ces tambours sont des objets essentiels de la civilisation lapone, des trésors pour les sami. Ils sont le symbole des adeptes du chamanisme et tout ce qui va avec : les âmes qui errent, la transe, l’alcool… Mais comme le fait remarquer Klemet, il n’y a plus beaucoup d’adeptes du chamanisme de nos jours.
Au vol du tambour va s’ajouter un autre événement auquel Klemet et Nina vont être confrontés : le corps sans vie de Mattis, un éleveur de rennes, vient d’être découvert, les deux oreilles découpées, tel un renne volé.
Olivier Truc répond à nos questions.
La genèse du roman :
Ça commence par une Suédoise. Moi, journaliste à Montpellier, intéressé par les reportages autour de la Méditerranée et sur le point de partir au Liban, je me suis retrouvé à Stockholm. Je ne connaissais rien de la vie nordique et j’ai abordé les problèmes sans aucun préjugé. J’avais de la Laponie une image folklorique comme on a tous, celle des Lapons en costume traditionnel avec leurs rennes. J’ai commencé à m’intéresser en tant que journaliste à l’Europe du Nord. En 1989 les Norvégiens ont créé des parlements sami, premier signe de reconnaissance de la culture sami. Et j’ai pu, lors d’élections, interviewer des Lapons de Stockholm. Une étudiante en journalisme dont la famille est éleveur de rennes dans le Sud de la Laponie, m’a introduit dans ce milieu et j’ai découvert leurs conflits avec les agriculteurs et les propriétaires terriens. Je suis parti pour mon premier reportage non pas sous le biais du folklore mais sous celui du conflit : procès, violences verbales, racisme créaient une drôle d’atmosphère. Ce qui m’a permis de découvrir la face cachée de ce modèle nordique que chez nous on a tendance à idéaliser. En 1999, j’ai entendu parler de la police des rennes pour la première fois, je m’y suis intéressé : ce pouvait être une façon inhabituelle et insolite de raconter ces histoires du Grand Nord. J’ai fait pour Libération, le journal pour lequel je travaillais à l’époque, des reportages et par la suite un réalisateur a voulu en faire un documentaire, le film que vous venez de voir, qui raconte les missions de la police des rennes. J’avais accumulé beaucoup de matière et j’ai voulu continuer par l’écriture, ce qui a donné « Le dernier Lapon ».
Les Sami :
Dans les années 60, ils sont rentrés dans l’ère de la mécanisation, avec les scooters des neiges, ce qui a profondément changé leur vie. Mais la contrepartie de tout ça, c’est qu’ils s’endettent pour utiliser quads, hélicoptères, camions pour transporter les bêtes …C’est une fuite en avant : pour rembourser les emprunts, il faut de l’argent, l’argent c’est les rennes, donc des troupeaux plus importants, des pâturages plus grands donc des conflits avec les voisins. Le terrain est aussi convoité par les sociétés minières. A cela s’ajoutent les effets du réchauffement climatique. C’est donc une terre de conflits et une économie menacée.
Face à ces difficultés, de nombreux sami ont transformé leur mode de vie en acceptant des activités liées au tourisme. (on trouve un site sur internet : venez déstresser en pays sami).Et puis il y a celui fidèle à la tradition : Aslak
Le dernier Lapon : Aslak
Il n’existe pas Aslak, je l’ai totalement inventé. Mais j’ai rencontré des éleveurs qui ont vécu cette vie-là, avant la mécanisation, qui suivaient leurs troupeaux à ski, avec des chiens de berger. Difficile d’imaginer cette vie-là pour les générations actuelles. J’ai voulu créer ce personnage parce qu’il existe toujours dans l’imaginaire collectif. Les sami prennent conscience que le modernisme a aussi des inconvénients et que s’ils continuent cette fuite en avant, ils vont perdre leur âme. Créer le personnage d’Aslak me permettait d’évoquer ce problème.
Quelle place pour les Sami dans leurs pays :
Dans les années 20 et 30, la Suède a été le premier pays au monde à créer un institut de biologie raciale. Les Allemands sont venus s’en inspirer. C’était l’époque où on faisait des recherches scientifiques, pas seulement en Suède, mais aussi aux Etats-Unis, en France …
en mesurant par ex. le crâne de certaines ethnies. Les Suédois considéraient les Sami comme un peuple de seconde zone. C’était d’autant plus intéressant à étudier qu’ils étaient amenés à disparaître puisque inférieurs.
Aujourd’hui, les démocraties de l’Europe du Nord sont considérées comme exemplaires. Il n’en demeure pas moins que ces populations témoignent d’une grande indifférence vis-à-vis des sami. Sur 70000 sami répartis sur quatre pays, seuls 10% vivent de l’élevage des rennes. Les autres sont bibliothécaires, peintres, mécaniciens en ville… Ils sont invisibles et d’ailleurs ne se réclament pas de leurs origines sami. L’Extrême droite suédoise les menace de supprimer les parlements sami et leurs droits spécifiques et des agressions contre eux surviennent parfois dans des fêtes publiques.
Comment la culture sami a-t-elle pu se transmettre ?
Il est vrai que l’écriture sami n’existe que depuis une centaine d’années. La culture s’est surtout transmise par les joïks, ces chants traditionnels. Il n’y a pas eu de génocide sami, comme pour les Indiens d’Amérique par ex. Les religieux luthériens ont bien brûlé quelques chamanes et au XVIIe il y eut des procès en sorcellerie. Le premier chapitre reprend un fait réel, bien que romancé. C’est au XVIIe s que les pasteurs luthériens sont venus évangéliser le pays en combattant les chamanes et en interdisant les joïks, voulant de cette façon supprimer tous les signes du chamanisme. Le joïk n’a fait son retour que dans les années 60 dans les musiques populaires. Les tambours ont été brûlés par centaines, il n’en resterait de nos jours que 71 répertoriés, qui se trouvent dans des musées ou des collections particulières.
Les pasteurs luthériens ont plutôt bien fait leur travail d’évangélisation et de nos jours les sami sont même plus pratiquants que les non-sami. Il y eut au XIX e un pasteur luthérien nommé Loestadius, d’origine Sami, qui les évangélisa et combattit l’alcoolisme fréquent chez eux. De nos jours de nombreux sami sont restés loestadiens.
Les tambours :
Ils sont tous différents. Chaque chamane possédait son tambour. Certains racontent une histoire, d’autres évoquent des symboles ou des dieux différents, selon le chamane et la région. Les chamanes n’avaient pas tous les mêmes dons : certains étaient guérisseurs, rebouteux, d’autres prédisaient l’avenir. Les dessins aussi sont différents, certains assez rustres, d’autres plus fins. Dans le livre j’ai inventé des symboles pour les besoins de l’histoire. Il y a très souvent une croix au milieu qui symbolise le soleil, une ligne qui partage en deux, une partie étant le royaume des morts et l’autre, le monde des vivants. Le chamane communiquait ainsi avec le monde des esprits.
Le problème des gisements miniers :
Il est soulevé à la fin du livre. C’est un problème ancien puisque la Laponie a été colonisée au XVIIe pour accéder aux richesses minières. Il y avait même eu des tentatives avant mais qui avaient échoué, la Laponie étant un pays rude, sans route. On transportait les minerais à dos de rennes. Aujourd’hui, les conflits persistent entre les éleveurs et les exploiteurs de mines. Il y a eu des manifestations sami devant le parlement à Stockholm, des barrages de routes, des interventions violentes de la police… Il y a actuellement en Laponie dont le sous-sol est extrêmement riche, des dizaines et des dizaines de compagnies minières auxquelles s’opposent souvent les éleveurs qui ne sont pas consultés. Le conseil municipal de Kautokeino, la ville où se passe l’histoire du livre, une ville de 2, 3000 habitants sur une surface grande comme le Liban, s’est opposé à une compagnie minière qui voulait chercher de l’or et la compagnie essaie de faire changer la loi pour passer outre. Encore une fois, la Laponie, terre de conflits.
Le dernier Lapon : un polar ethnique à la manière de Tony Hillerman ou Arthur Upfield ?
Je n’accepte aucune étiquette mais je sais le succès qu’ils ont eu. On m’a conseillé de lire les enquêtes de Hillerman en pays navajo avant d’écrire mon livre mais j’ai refusé, ne voulant pas me laisser influencer.
Avant la fin de la rencontre, Olivier Truc nous révèle qu’il est en train d’écrire une suite au Dernier Lapon. Nous attendons avec impatience de pouvoir lire une nouvelle aventure vécue par Nina et Klemet.