Le sujet de la conférence :
" Ces quinze dernières années, la Russie a été le théâtre de profonds bouleversements.
Qu'en est-il de sa littérature ?
Dans quelle mesure la chute du régime soviétique a-t-elle eu une influence sur la culture ?
La lecture des textes contemporains met en évidence la quête identitaire de la Russie d'aujourd'hui - ses questions sur le passé, sa méfiance et son incompréhension quant au présent, ses doutes sur l'avenir mais aussi ses espoirs : une littérature riche, en mouvement et en devenir."
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Décembre 1992, la Russie vit de profonds bouleversements. C'est la fin de l'URSS.
Jusqu'en 92, il existe un organisme d'état de censure auquel étaient soumises les oeuvres publiées. Les gens en ont assez de lire des oeuvres de dénonciation.
A partir de cette date, la culture populaire explose : de nombreux policiers, romans à l'eau de rose sont publiés, ce qui entraîne une crise pour la littérature plus sérieuse.
Les traits essentiels de la littérature post-soviétique :
- Une très grande variété d'oeuvres dans tous les styles.
- Graphomanie galopante. De nombreuses maisons d'édition sont créées.
- Expériences de style : par ex des notes de bas de pages qui prennent la moitié de la page chez Oleg Strijak
- La dé-idéologisation de la littérature : jusque là les auteurs étaient aussi philosophes, journalistes, hommes de radio &A partir de 90, les journaux, les medias deviennent indépendants. La littérature revient à des questions qui ne sont pas obligatoirement engagées : questions sur l'homme, les problèmes quotidiens & mise à part la littérature réactionnaire où les écrivains sont antisémites, antioccidentaux et regrettent l'empire russe. (Ces écrivains ne sont pas traduits)
- Décollectivisation de la littérature qui évoque l'individu. Beaucoup d'autobiographies, on se raconte, on s'analyse & - Thèmes de l'onirisme, du rêve (chez Kharitonov par ex)
- Intrusion du corporel : fonctions physiologiques du corps, sexe
- Intrusion du langage grossier très rare dans la littérature officielle. Libération des tabous.
- Intervention de l'absurde. Il y a eu un tel changement des structures sociales que des gens se sont retrouvés dans des situations délirantes.
- Beaucoup de femmes écrivent.
- Beaucoup de réflexion identitaire : qui suis-je ? interrogations sur son identité, sa religion : Sommes-nous russes, asiatiques, européens ? Recherches spirituelles sur le judaïsme, le bouddhisme ...
- Nostalgie de la puissance de l'empire ; de deuxième puissance mondiale, la Russie est devenu un pays qui a besoin d'aide humanitaire. D'où le besoin de retrouver une identité russe, une force .
4 parties pour présenter la littérature russe de ces quinze dernières années :
1. Portrait de la réalité et du présent
2. Une société qui se cherche dans son passé
3. Une société qui s'échappe à la recherche d'un ailleurs : l'utopie, le fantastique
4. La culture populaire
En France, 120 titres traduits représentent tous les courants . Sont présents essentiellement : Gallimard, Actes Sud, Fayard, Le Seuil, Jacqueline Chambon, Albin Michel ...
1. Portrait de la réalité et du présent :
Une lignée d'écrivains doivent évacuer des traumatismes :
Documentaires qui sont des témoignages poignants sur la guerre :
Svetlana ALEKSIEVITCH :
- La guerre n'a pas un visage de femme (1985), traduit en 2004 : interviews de femmes qui ont participé à la guerre - Les cercueils de zinc (1991) : interviews des femmes, des soeurs des soldats qui ont fait la guerre d'Afghanistan.
- La supplication (1999) : Tchernobyl. : Interviews des familles de ceux qui sont morts, des sauveteurs .
Oleg ERMAKOV :
S'est trouvé en Afghanistan pendant la guerre comme soldat; il évoque dans ses deux récits une sale guerre et les dégâts psychologiques faits chez les jeunes :
- Récits afghans
- La marque de la bête
Ruben GONZALEZ GALLEGO :
- Blanc sur noir (2002) : Fragments de vie d'un enfant espagnol handicapé (retardé mental), qui se retrouve dans des hôpitaux psychiatriques soviétiques.
Le courant qui représente la vie quotidienne :
Beaucoup de femmes écrivent sur ce thème :
Ludmila PETROUCHEVSKAÏA :
- La nuit m'appartient (1992) : Journal intime d'une femme qui montre que les gens ne se parlent plus, se détestent; les relations sociales se délitent et la solitude des gens est extrême.
Tatiana TOLSTAÏA :
- Feu et poussière (récits 1983-1987)
Montre les difficultés quotidiennes mais dans une écriture baroque qui nous emmène dans le rêve, le conte de fées, ce qui permet de poétiser la vie quotidienne.
Nikolaï KONONOV :
- Les funérailles d'une sauterelle (2000) : Souvenirs de scènes de son enfance qui l'ont traumatisé, la mort de sa grand-mère en particulier est racontée avec des détails physiologiques très durs.
Irina MURAVIEVA :
- Journal intime de Natalia (2003) : Journal d'une femme dont on comprend qu'elle devient folle.
La littérature neo-sentimentaliste :
Les auteurs montrent pour les personnagesde la tendresse, une réelle compassion.
Ludmila OULITSKAÏA :
- Sonetchka (1992)
- Médée et ses enfants (1996)
- De joyeuses funérailles (1999)
Elle délivre un message de tolérance, un message de vie.
Viktoria TOKAREVA :
- Happy end - Portraits de femmes dans de courts récits.
Andreï GUELASSIMOV :
- La soif (2004) - Portrait d'un soldat rescapé de la guerre de Tchétchénie, revenu défiguré; raconte ses souvenirs.
Oeuvres de réalisme lyrique :
Belles descriptions de paysages russes :
Oleg ERMAKOV :
- Pastorale transsibérienne : Description de la Sibérie et de ses beaux paysages.
Romans picaresques :
Alexeï SLAPOVSKI :
- Je n'est pas moi (1997) : Le personnage principal se transforme en la personne qu'il fixe : il devient mafieux, premier secrétaire du parti ...
- Vodka, Dollars et Gueule de bois (2000) : Trois personnages en marge de la société trouvent un jour une énorme somme d'argent dont ils essaient de se débarasser, sans y parvenir. Refus de donner toute sa valeur à l'argent dans une société basée sur le troc.
Ilya KOTCHERGUINE :
- L'Assistant du Chinois (2004) : Autobiographie de l'auteur. Montre la Russie de ces dernières années.
2. Une société qui se cherche dans son passé :
Alexandre TCHOUDAKOV :
- Anton - La brume recouvre les vieilles marches (2002) : Souvenirs d'enfance, période stalinienne.
Vladimir MAKANINE :
- Underground (2002) : Terme employé pour désigner la bohême qui vivait grâce à de petits boulots. Dresse un bilan des trente dernières années dans le domaine littéraire et artistique.
Macha ARBATOVA :
- Mon nom est femme (2001) : Autobiographie d'une féministe (cinq nouvelles)
Irina DENEJKINA :
- Vodka-Cola (2001) : La dérive de trois adolescents.
Vassili AKSIONOV :
- La saga moscovite (1992) . Grande saga d'une famille à travers l'histoire de l'URSS.
Des romans historiques :
Anton OUTKINE :
- La ronde (1998)
Leonid YOUZEFOVITCH :
- Le baron Ungern. Khan des steppes (2001)
3. La recherche d'un ailleurs :
Le conceptualisme (opposé au réalisme) : Ne représente pas une réalité mais un concept, une idée qu'on se fait de la réalité.
Vladimir SOROKINE : utilise le pastiche et la parodie.
- La queue (1985) : Bribes de dialogues dans une queue gigantesque.
- Le trentième amour de Marina : Histoire d'une femme légère.
- Les coeurs des quatre (1994) : Parodie du thriller, délirant avec beaucoup de sang. A lire au 2eme degré.
- La glace : Histoire d'une secte de gens blonds aux yeux bleus !... Faut-il le lire au 2eme degré ? Texte ambigu : fascination pour les signes du pouvoir totalitaire.
Youri MAMLEIEV : Grand gourou dans les années 60 à Moscou. Très mystique.
- Chatouny (1986)
- Le couloir de la mort (2004)
Comprendre le sens de la vie par le crime, Dostoïewsky poussé à bout.
Le fantastique (pour échapper au réel) :
Vladimir MAKANINE :
- La brèche : Description d'une société complètement délabrée. On retrouve le thème de l'underground : les intellectuels vivent en bas, comme dans une réserve. En haut vit le monde totalitare.
Tatiana TOLSTAÎA :
- La Slynx (2000) : Après Tchernobyl des gens sont devenus mi-humains, mi-animaux, d'autres des animaux. Le héros devient accro à la lecture, découvre des bibliothèques secrètes, lit sans rien comprendre. L'auteur a créé une langue avec des archaïsmes comme si les gens étaient redevenus des enfants.
Victor PELEVINE :
- La flèche jaune
- L'Ermite et six doigts
- La vie des insectes (1997)
- Omon Râ
- Homo Zapiens (1999) : Monde de la publicité.
4. La prose grand public :
Alexandra MARININA : La reine du roman policier russe. Nous fait pénétrer dans différents milieux de la société russe actuelle.
Boris AKOUNINE : Son héros est un dandy, Eraste Fandorine, qui évoque la Russie du XIXe siècle.
Andreï KOURKOV :
- Le Pingouin
- Le caméléon
- L'ami du défunt (2002)
Daria DONTSOVA : Contes de fées avec intrigues policières; romans très populaires, très simples à lire.