Outre la sélection "Des histoires de grands espaces ", nous avons aussi aimé
d'autres romans et récits que nous avons découverts au cours de nos lectures sur ce thème
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« Casting Sauvage » Hubert haddad - Editions Zulma, 2018
Avec Damya, on parcourt des rues, des quartiers, des espaces d’un Paris inhabituel, émaillé de rencontres surprenantes. Sous couvert d’un casting pour le choix de figurants d’un film en préparation qui va mettre en scène le livre de Marguerite Duras « la Douleur », elle est engagée pour cette tâche après que les professionnels aient échoués. Son rôle, traquer des paumés squelettiques susceptibles de figurer des revenants de camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale. Les déportés doivent être « plus vrais que nature » et accepter d’avoir la tête tondue.
Le regard est extérieur mais l’histoire de Damya prend corps et sens au fil de ses traques et rencontres. Issue du milieu de la danse, une actualité dramatique a ruiné son projet de vie. Elle se retrouve dans un Paris sans faste ni lumière, un appareil photo à la main, et l’on comprend que sa quête personnelle rejoint sa mission temporaire professionnelle au travers d’une histoire pas commencée, une rencontre, l’homme d’un rendez vous manqué qu’elle cherche à retrouver, et qu’elle devine, presque malgré elle, dans l’image fugace d’une attitude, d’une silhouette, au sein des passants qu’elle croise.
Avec elle, on découvre le Paris insolite des oubliés qu’elle débusque aussi bien parmi les étudiants de Jussieu qu’à la Butte Montmartre, dans une gare ou au fond de la rue de La Goutte d’Or. Elle marche et nous marchons avec elle. Elle n’en finit pas. La nuit elle marche encore et au hasard de ses pas, nous croisons un peintre de la pleine lune qui réalise une oeuvre tous les vingt huit jours, un batelier à quai sur la Seine, un irrépressible marcheur. Au fil des déambulations, comme autant d’images sensibles et frêles, clochards, écorchés et autres délaissés, livrent leurs rêves, leurs peurs, leurs aspirations, et le lecteur approche ces ombres avec l’envie pour cette fois et pour chacun d’eux tour à tour, de les accompagner et de donner à travers ces bribes de témoignages un sens à leur présent.
Damya aborde ses possibles figurants sans truc particulier, « simplement une attention un peu vive pour le visage de tous ces gens qui vont et viennent à découvert, sans but avoué, le regard rentré au secret de leur nuit » et l’on associe à cette réussite la fragilité de l’enquêtrice, le désarroi de son nouvel état autant que sa noblesse de coeur et sa souffrance.
Grace à la justesse de l’écriture sensible poétique et tendre d’Hubert Haddad, nous avons le sentiment, à la fin, de participer à cette main tendue qui va permettre à Damya de reprendre vie, de trouver la force de continuer.
L’ouvrage est court mais au fil des chapitres, nous entrons dans la magie du récit, guidé par l’écriture poétique et subtile, qui figure un Paris des arts et des destinées communes riches de toutes leurs nuances.
Présentation : Annie Contin
Des nouvelles d'Agafia -Vassili Peskov - Actes Sud, 2009
En Russie les Vieux croyants sous le bolchevisme, ont dû fuir le régime et se réfugier dans des lieux éloignés des villes. Une des familles de cette obédience s'est réfugiée dans un coin reculé de Sibérie. Dont il ne reste plus qu'une seule personne : Agafia, mais quelle personne !
Elle est née en 1945 et est la seule survivante de cette famille partie en 1928 dans la taïga. Elle a été « découverte » par un groupe de géologues et un grand reporter, l'auteur du livre, s'est intéressée à elle. Il publie régulièrement un article dans la Pravda. Ce livre est la réunion d'un certain nombre d'articles qui donne des nouvelles d'Agafia et nous fait découvrir une personne, une nature et un style de vie peu ordinaires.
Présentation :Elizabeth Thuriet
Les temps sauvages - Ian Manook - Livre de poche, 2016
Yeruldelgger est à nouveau le héros de ce 2e polar de Ian Manook sur la Mongolie.
Il y a beaucoup de morts dans cette histoire mais aussi de belles descriptions de la Mongolie et de très interessants développements sur les relations, pas toujours simples entre la Mongolie et ses pays voisins : Chine et Russie.
Une enquête haletante qui nous fait passer aussi par le Havre et qui tient la route du début à la fin.
(Présentation :Elizabeth Thuriet)
"Boréal" de Sonja Delzongle - Denoël Sueurs froides, 2018 :
Janvier 2017, une expédition scientifique part au Groenland pour étudier les phénomènes climatiques. Une étrange découverte l'attend : des centaines de boeufs musqués pris dans la glace avec des regards effrayés. Le chef de l'expédition fait appel à une spécialiste de ces morts d'animaux en masse. Mais les membres de l'expédition disparaissent les uns après les autres. Un thriller haletant sur fond de superstitions inuits.
Présentation :Annette Rit
Transcolorado - Catherine Gucher - Gaïa, 2017
Ce roman met en scène deux êtres livrés à eux-mêmes, dans un monde hostile. L’héroïne, jeune fille un peu paumée, aime monter dans le bus Transcolorado pour fuir le ciel trop bleu. Et puis elle rencontre Tommy, le balafré à la démarche d’Apache. Il faut aussi compter sur deux autres personnages : les immenses plaines du Colorado, et un ciel immense, qui passe du grand bleu au rouge flamboyant suivant les caprices de la météo. On navigue dans une vie à côté de la vie, où l’amour des chevaux Appaloosa, et celui des sapins Douglas vont donner une seconde chance à ce couple hors normes.
Présentation : Colette lagier et Annie Bompis
Pô, le roman d’un fleuve - Paolo Rumiz – Hoëbeke, 2014
Un voyage initiatique à la rencontre d’un fleuve, le Pô qui donne du fil à retordre à une poignée d’aventuriers bien décidés à le descendre jusqu’à son embouchure adriatique.
D’une écriture poétique, truffée d’images, Paolo Rumiz nous fait découvrir un territoire largement rendu à l’état sauvage, une « terre » inconnue, oubliée, au cœur de la région la plus industrialisée d’Italie.
Présentation : Colette lagier et Annie Bompis
Joseph Boyden : Les saisons de la solitude. Albin Michel, 2009 ; Livre de poche, 2011. 475 p.
Ce roman se situe au Nord du Canada, au bord de la Baie James où vit une communauté d'Indiens Cree. Cantonnés dans une réserve près de l'immense forêt d'épicéas, les jeunes ne songent qu'à fuir cette vie rude, alors que leurs aînés sont nostalgiques de la vie en osmose avec la nature, faite de chasse pour se nourrir et du commerce des peaux.
Will Bird, un ancien pilote forestier, se retrouve à l'hopital, plongé dans le coma à la suite d'une agression, tandis que sa nièce Annie, revenue de New-York où elle était mannequin, veille sur lui.
Dans un dialogue silencieux, chacun évoque sa vie et ses souvenirs et c'est l'occasion pour l'auteur de confronter deux mondes : l'immensité sauvage des forêts canadiennes et la démesure de la métropole américaine.
Présentation : Catherine Soubigou
Andrei Makine : L'archipel d'une autre vie. Seuil, 2016 ; Points, 2017. 233 p.
Nous sommes à la fin de l'ère stalinienne aux confins de l'Extrême-Orient russe où cinq soldats sont chargés de rattraper un prisonnier échappé du goulag. Pavel faisait partie de ce groupe de soldats et c'est lui qui raconte, vingt ans après, cette longue traque à travers l'immensité de la taïga. Mais le fugitif, très à l'aise dans cette nature sauvage, insaisissable, va les entraîner bien loin de leur camp de base vers le point de non-retour et la vie de Pavel va en être bouleversée. «Je ressentis pour lui non pas de la sympathie mais cet attrait qui devait unir, dans les temps immémoriaux, deux solitaires se croisant dans une forêt sauvage.»
Dans une langue toujours aussi pure, Andréï Makine nous offre un magnifique livre à la fois violent et mélancolique.
Présentation : Catherine Soubigou
Victor Remizov : Volia Volnaïa - Traduction de Luba Jurgenson - Ed. Belfond, 2017
Nous sommes dans le grand Est de la Russie, en Sibérie, dans la presqu'île de Rybatchi, au bord de la mer d'Okhotsk, très, très loin de Moscou. Les domaines de chasse et de pêche sont à l'image de cette nature sauvage et préservée, un immense territoire de liberté pour les hommes et les femmes qui y vivent; chacun possède près de 80 000 hectares pour chasser l'ours, l'élan ou la zibeline, pêcher les œufs de saumon, pratiquer l'orpaillage, toutes pratiques illégales mais personne n'est très regardant et il faut bien vivre, tous ces petits trafics sont couverts par les autorités locales qui ferment les yeux tout en encaissant des pots de vin qui agrémentent leur solde.
Tous vivent, si ce n'est en harmonie, du moins en bonne intelligence, les hommes sont grands, forts, durs au mal, résistants au froid, tous ont un point commun, leur amour pour cette taïga glaciale et grandiose et n'oublient jamais de sceller un accord ou refaire le monde autour d'une bouteille de vodka..
Un jour, un incident minime perturbe ce fragile équilibre, un homme en a assez de courber l'échine, de donner une partie de son labeur, un policier fait du zèle, un coup de feu part et la machine bien huilée s'enraye et tous s'étonnent ensuite de n'avoir rien pu faire pour éviter l'escalade. Police locale, escadron de forces spéciales venu de Moscou, fugitif et chasseurs se trouvent pris dans une chasse à l'homme éprouvante et disproportionnée. Tout dérape et chacun est amené à réfléchir sur ce qu'il convient de faire.
C'est un roman dans la pure tradition des grands auteurs russes, porté par un souffle épique, les personnages sont nombreux, On peut en citer certains, Oncle Sacha, Lepiokhine, Robiakov, Milioutine, ils ont tous des noms, surnoms, diminutifs qui peuvent parfois dérouter le lecteur.Il suffit de consulter la liste que l'auteur a mis à notre disposition pour retrouver très vite ses repères mais, même si les personnages sont fouillés et approfondis, du plus lâche au plus courageux, du plus vil au plus vertueux, la nature est au centre du livre, le paysage immense, démesuré, la taïga, la forêt habitée par les ours, les loups. Ce roman est aussi révélateur d'une prise de conscience, la nature semble un gage de liberté mais c'est une illusion de se penser libre quand la société dans son ensemble est corrompue et autoritaire, la quête identitaire est complexe et l'auteur a une vraie liberté de ton pour le dénoncer.
« la taïga était silencieuse, de petites paillettes voltigeaient dans l'air, tombant du ciel, de l'obscurité cosmique où tout allait certainement bien mieux que sur terre, puis se déposaient sur les rondins gris de l'isba », , .
- « Il contemplait avec amertume les immenses espaces montagneux, la taïga, pensait à sa belle datcha près de Moscou, à son grand appartement qui occupait un étage entier dans un immeuble du boulevard Gogol… Il comprenait bien qu’il n’existait rien de commun entre ceux qui regardaient le ciel depuis leurs bureaux moscovites, passaient leurs soirées au restaurant ou au théâtre, distribuaient les licences de pêche et de chasse, les autorisations à extraire l’or… et un Oncle Sacha qui sillonnait la taïga sur son vieux tas de ferraille. Rien ne les unissait : ni Dieu, ni un tsar, ni même un guide bien-aimé ».
L'auteur : Né en 1958 à Saratov (à 860 kms au sud-est de Moscou, sur la rive droite de la Volga), Victor Remizov est un écrivain russe. Après des études de géologie, il a étudié les langues à l'Université d'État de Moscou puis, toujours partagé entre nature et littérature, il a travaillé comme géomètre expert dans la taïga, puis comme journaliste pour la revue littéraire « Novy Mir » et comme professeur de littérature russe.
Nommé pour le Big Book Award et le Russian Booker, « Volia Volnaïa » est son premier roman (en cours de traduction dans de nombreux pays à travers le monde). Pour la « Svobodnaya Pressa », Victor Remizov est « un auteur dans la plus pure tradition, intelligent, plein d’empathie, patient comme un pêcheur dans la taïga. Son roman est tout autant sociétal qu’analytique. Il ne nous donne pas à voir une révolution russe tonitruante mais s’attache à en montrer la clameur et l’inévitable répression qui s’ensuit. Et cela est bien plus efficace ».
Victor Remizov vit à Moscou avec sa famille.
Présentation : Simone Delorme