Slobodan Despot :
D’origine serbo-croate, né en Voïvodine en 1967, c’est en Suisse qu’il a grandi et étudié, et c’est en Valais qu’il exerce ses activités d’éditeur et de publiciste. Après avoir travaillé aux Editions de L’Age d’Homme, où il a fondé, avec Vladimir Dimitrijevic, l’Institut serbe de Lausanne, il a créé, en 2006, sa propre maison, dont le slogan est un défi: «Osez lire ce que Xenia ose publier»! Redoutable débatteur, pamphlétaire de talent, blogueur de choc, Slobodan Despot a été marqué comme le défenseur du peuple serbe pendant les guerres des années 1990, quand ce dernier était diabolisé de manière unilatérale. Qu’a-t-il voulu dire avec Le Miel? Oublions les préjugés et «osons lire ce que Despot ose écrire»! (@Le Temps)
Le miel - Gallimard, 2014
Véra, une herboriste qui soigne ses patients avec des plantes et aime leur raconter des histoires, a un jour sauvé au bord de la route, un vieil homme que son fils, dans un moment d’exaspération, menaçait. C’est Vesko, le Serbe, qui ramène son vieux père, à Belgrade. Le vieux Nikola, qui avait échappé aux massacres de son village, était resté seul dans la montagne, avec ses abeilles alors que toute la famille fuyait devant les attaques. Le roman se déroule pendant et après l’opération « Tempête » de 1995 qui a permis à la Croatie de reconquérir la Krajina occupée depuis 1991 par les sécessionnistes serbes. Les Serbes de la Krajina ont dû quitter leurs terres sous les bombes, La Yougoslavie n’est plus, disloquée en plusieurs pays qui se sont affrontés, des conflits ethniques et religieux ont fait rage, les blessures ne sont pas encore refermées.
Vesko a promis d’aller chercher le père ; il entreprend un périlleux voyage, traversant des régions qui sont devenues terre étrangère et hostile. La peur le tenaille, il craint pour sa vie quand des patrouilles croates l’arrêtent, car il a été déclaré criminel de guerre. Il a réussi à convaincre son père de partir avec lui mais le retour est plein d’embûches. Mais sur le chemin du retour, alors que la peur et la colère s’intensifient chez Vesko, son père se montre calme, sachant dépasser les rancoeurs et les conflits. Il faut dire qu’il a embarqué dans la voiture de son fils des bidons de miel. Il sait que ce nectar efface les haines entre les hommes que leur origine et leur religion divisent. Et il va se servir de ce miel comme d’un laissez-passer quand ils rencontrent sur leur route des Croates mal disposés envers eux. Il va leur offrir des pots de miel, tout comme il n’aura de cesse d’en faire apporter un bidon de cinquante kilos à Véra qui lui a sauvé la vie.
Le narrateur qui raconte l’histoire, l’a entendue raconter par Vera dont il est un des patients. Elle-même la tenait de Vesko lui-même venu la remercier pour son geste en lui offrant un gros bidon de miel et en se laissant aller à raconter son histoire.
Une histoire où fiction et réalité se rencontrent : "Le narrateur me ressemble, dit l'auteur, et Véra existe, je la connais et l'ai rencontrée". L'histoire fait appel au vécu de l'auteur avec parfois des transpositions de périodes. Par ex. Vesko est plutôt représentatif des contemporains du père, alors que le père ressemble à des vieux Suisses, taiseux et silencieux.
Le roman est fait d'un récit dans le récit représentatif de ce qui se passait dans le pays à ce moment-là. Une écriture presque légère au milieu de la violence des faits. L'auteur semble ne pas vouloir s'attarder sur la guerre. Des passages sont drôles, cocasses. Pendant la guerre, les murs étaient couverts de phrases assez cocasses, telle que "Repeindre, à quoi bon ?"
Le fonds historique est brossé par petites touches, parfois ironiques à l'égard de l'ONU, les ONG, les Occidentaux, les médias, les va-t-en guerre ...L'auteur remet la guerre à sa place, en montrant qu'elle est toujours absurde et qu'elle ne résout rien.
Le miel, le héros du livre, est un viatique. Le miel, les abeilles ... La société des abeilles s'oppose à notre société qui part à la dérive et qui est une société de frelons.
La fin du livre peut être déroutante. Quel en est le sens ? Un geste peut compter dans un sens favorable ou néfaste; on ne peut jamais prévoir.