Makenzy Orcel est né à Port-au-Prince le 18 septembre 1983.
Il publie en poésie
- "La douleur de l'étreinte" en 2007,
- "Sans ailleurs" en 2009
-
"A l'aube des traversées et autres poèmes" Ed. Mémoire d'encrier, 2010
Son premier roman "Les Immortelles" est sorti en 2010 et son deuxième "Les latrines" en 2011.
Il a fait de sa poésie un cri : "Je suis né fâché, j'ai été fâché toute ma vie. C'est cette colère qui m'a donné envie d'écrire".
On peut lire sur le site de l'Institut français de Port-au-Prince :
" Il a une jeunesse insolente et des yeux qui refusent de se fermer, ni de mourir solitaire/sans livrer les méandres de la faille. Il écrit pour ne pas flancher. Pour être debout entre les phrases. Pour la dignité de son peuple, les mots se font fleurs, barbelés en crue/dans la spirale du rêve, dit testamentaire d’une île où seule l’étreinte/conduit la lumière".
A près de 30 ans, il est l'un des grands espoirs de la relève littéraire en Haïti.
Extraits de cette rencontre qui s’est faite autour de ses deux livres :
« Les immortelles », publié en 2010 par « Mémoire d’encrier », repris en 2012 par Zulma
« Les latrines » publié en 2011 par « Mémoire d’encrier ».
« Les Immortelles » :
C’est une prostituée de Port au Prince qui demande à un de ses clients de raconter l’histoire de ses amies prostituées mortes pendant le séisme de 2010 : Elle paraissait avoir tout compris du pouvoir de l’écriture en me demandant d’écrire ce livre sur la Grand-Rue. Pour toutes les autres putains disparues dans cette chose. Un livre, disait-elle, pour les rendre vivantes, immortelles. Elle racontait. Moi, je n’avais qu’à transformer.
Elle conclut avec lui un marché : Tu me donnes ce que je te demande, et toi après tu pourras m’avoir dans tous les sens que tu voudras. Mais ce qu’elle veut avant tout, c’est que soit racontée l’histoire de « la petite » morte coincée sous les décombres, douze jours après avoir prié tous les saints.
Un livre qu’il était urgent d’écrire :
Un livre écrit dans l’urgence pour sortir du chaos : pour être ailleurs, pour voyager, pour donner une vie à ceux qui n’en ont pas : J’étais là avec ces femmes, mais j’étais ailleurs. Je l’ai écrit pour ça, pour être ailleurs loin de ce chaos, loin des gens qui criaient.
Pourquoi les prostituées ?
Je voulais rendre hommage à toutes les femmes haïtiennes, parce que c’est une société où les femmes ne parlent pas, où elles s’occupent de la maison, des enfants. C’est les hommes qui travaillent, qui apportent à bouffer à la maison. Ils sont PDG, Ministres, dictateurs … Moi, je voulais leur donner une voix. C’est un prétexte pour parler de toutes les femmes : je voulais partir de ces femmes qui sont vraiment, vraiment au fond, au bas de la société. Ce n’est pas un livre sur le tremblement de terre. Ce n’est pas l’apologie de la prostitution. C’est un prétexte pour toucher toutes les femmes…
Il faut garder à l’esprit que la littérature, ça reste de la littérature. Il ne faut pas demander à la littérature de descendre vers les gens.
Et pourquoi ce titre « Les Immortelles » ?
Cette petite qui fuit la maison de sa mère et qui est allée se prostituer sur la Grand’Rue, a dit un jour à cette femme qui l’a accueillie, la mère maquerelle, que dans les livres, les gens ne meurent pas, ils sont les maîtres du temps. Aujourd’hui encore on parle de Mme Bovary, des personnages de Flaubert, de Victor Hugo. L’écriture donne l’immortalité aux personnages.
Une narratrice qui n’a pas de nom :
Moi, je n’aime pas trop les noms… c’est comme les points dans les livres, ça fait un peu trop limite. C’est trop violent de donner un nom à son personnage, en tout cas pour moi. Quand j’écris, ce n’est pas dans le folklore, je suis dans l’universalité.
Par contre il y a la nommée Shakira, jeune prostituée, grande lectrice ?
Shakira est cette petite fille qui a quitté sa mère, qui l’a abandonnée pour aller se prostituer sur la Grand’Rue. Sa mère était une bonne mère comme toutes les mères mais c’était une sorte de chrétienne qui vendait des bibles et des chants d’espérance. Shakira voulait être libre, mais quand on est lecteur, on est bordélique, il y a des choses qu’on ne peut accepter. C’est difficile de vivre avec une mère possessive, une mère qui exige que l’on prie avant de manger, avant d’aller se coucher. Elle, elle voulait être libre et c’est dans la prostitution qu’elle a trouvé sa liberté. Pour elle, si on arrive à disposer de son corps c’est qu’on est libre. Je ne sais pas si elle a raison ou pas, je ne suis pas dans le jugement. C’est sa voix qui m’intéresse.
Shakira, grande lectrice de Jacques Stephen Alexis, permet à Makenzy de rendre hommage à ce grand écrivain haïtien :
C’est un écrivain qui a écrit quatre chefs-d’œuvre publiés chez Gallimard : Compère général soleil - Les Arbres musiciens - L'Espace d'un cillement* - Romancero aux étoiles. Je voulais lui rendre hommage parce qu’il m’a appris l’essentiel. Dans Compère général soleil, le personnage principal est un voleur, qui volait pour survivre, et à la fin il devient le défenseur des autres. Là j’ai compris que toutes les constructions passent d’abord par la construction de soi-même. Avant d’arriver à l’autre il faut d’abord se construire, sinon rien n’est possible. Alexis m’a appris l’essentiel : me construire.
Makenzy insiste alors sur l’importance du sentiment d’appartenance à une terre, ce qui ne l’empêche pas d’ajouter : Moi, j’aime le monde. J’écris des livres pour parler d’Haïti mais j’aime le monde.
* A la fin de la rencontre, on évoquera plus longuement « L’espace d’un cillement », le livre d’Alexis cité dans « Les Immortelles »
On rappelle alors un commentaire fait par la fille de Jacques Stephen Alexis à propos du livre de son père « l’espace d’un cillement » : il dérange les convenances littéraires, le code social, l'ordonnancement figé (mort), la pudibonderie ambiante... Ces mots peuvent-ils convenir aux Immortelles ?
On ne peut pas déranger avec son vécu, avec son quotidien .On n’a pas tous les mêmes enfances. Moi, j’ai mon vécu à moi, vous avez votre vécu à vous. Je ne peux pas déranger avec les latrines puisque en Haïti on emploie le mot « latrines ». De la même façon que vous, vous ne dérangez pas avec « les toilettes ». Mais il y a des gens qui n’aiment pas qu’on écorne leurs certitudes. Ils ont beaucoup d’attente, ça peut être dangereux. Il faut s’ouvrir.
Makenzy précise l’importance du sens des mots. Par ex. Il n’y a pas de misère en Haïti, il y a de la pauvreté :
Le mot misère existe ailleurs. Mais en Haïti le mot misère n’existe pas. La misère pour moi, c’est quand on abandonne tout, c’est l’affaissement de soi, c’est quand on n’est pas capable d’aller vers l’autre, d’aller boire un coup avec lui, de partager ses joies, ses douleurs… c’est ça la misère. Ça n’a rien à voir avec son compte bancaire, son porte feuille, en Haïti, on n’a pas ça…Il y a beaucoup de choses que l’on n’a pas, mais au moins on est capable d’aller taper à la porte du voisin pour lui demander comment ça va. Quand on avait quelque chose à manger, on partageait. Avant même de me donner ma part à manger, ma mère allait taper chez le voisin pour lui proposer à manger. Ça ce n’est pas de la misère, on dit qu’on est pauvre. On est pauvre, mais on est bien dans le partage, dans la joie de vivre, dans le rire, parce que c’est un pays qui vit dans la rue.
Il y a dans « Les Immortelles» des choses qui peuvent déranger, bousculer le lecteur :
La religion qui est évoquée : p.40 :
Jésus, pour plus d’un – les chrétiens surtout – était à la fois l’auteur de cette chose et le sauveur de tous ceux qui en sont sortis indemnes … En toute fin de compte, il ne manquait que cette chose au palmarès de ce Jésus pour remporter la palme d’or et devenir incontestablement, indubitablement, le mort le plus assassin, le plus ridiculisé de tous les temps.
On est un pays à terre, 500000 morts ! C’est un fléau la religion en Haïti. Que disent les chrétiens ? Notre vie, c’est un passage. Notre maison c’est là-haut au ciel, où on a un palais de cristal qui nous attend. Donc la guerre on s’en fout, la pauvreté on s’en fout… Il n’est pas là-haut notre pays !
Des mots qui peuvent choquer : Makenzy emploie des mots très crus pour parler de sexe, de mort, de deuil, de misère, sans tabou, sans retenue :
J’ai besoin de faire parler la langue. J’écris en français mais il existe une autre langue qui est le style qui va vraiment au-delà. J’essaie de faire parler cette langue sans complexe. Ça n’existe pas de beaux mots.
Il y a toujours un souffle qui naît à partir du style. La formulation juste pour dire ce que l’on veut amène un souffle. Les mots, c’est le matériau qu’on utilise pour dire le monde, pour se libérer de ses démons et aussi pour toucher les autres, pour les émerveiller. Avec l’écriture on essaie de rendre la chaleur du monde.
La laideur existe à partir du regard qu’on pose. Tout est dans le regard. L’écrivain essaie de voir tout autrement : une femme, un pays, la vie. Je n’aime pas le mot laideur, tout passe à travers le regard. Si on veut voir la beauté, on la verra.
Le travail de l’écrivain :
Les mots, ça passe à travers le corps, les yeux. Avec Les Immortelles, je voulais faire un livre à mi-chemin entre la poésie et le récit. Le travail de l’écrivain, c’est un travail sur la langue, sur la forme.
Extrait : Cette nuit-là, la terre voguait. Voltigeait. Dansait. S’abîmait pour s’exhumer d’elle-même. Se déchirait. Gisait au sol tel un mourant. Marchait sur ses propres décombres…
J’ai toujours des carnets sur lesquels je prends des notes et après je passe à l’écriture du livre et là je commence à me censurer, à effacer. Il ne reste alors que l’essentiel, que le jus.
Remettre les choses à leur place, est-ce là le rôle de l’écrivain ?
Aller à la rencontre des gens, c’est un autre aspect de mon travail. Je ne sais pas si je déplace des choses, mais j’essaie d’être sincère.
Dans « Les Immortelles », Makenzy Orcel rend hommage à Jacques Stephen Alexis, l’auteur en particulier de « L’espace d’un cillement » :
"L'espace d'un cillement", paru chez Gallimard dans la collection "l'Imaginaire", a été écrit dans l'urgence par J-S Alexis (1922-1961) Médecin, journaliste, écrivain, engagé politiquement contre la dictature Duvalier, il fut arrêté, torturé, porté disparu, probablement assassiné.
Ce roman-poème dont le héros masculin El Caucho n'est pas sans ressembler au narrateur des Latrines, souvent attablé au bar devant un rhum-coca, est organisé en sept chapitres. L'histoire se déroule sur sept jours pendant la Semaine Sainte à Port au Prince.
Chaque chapitre porte le nom d'un sens : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher, suivi d'un sixième sens et d'une coda "L'espace d'un cillement"qui donne son titre au roman.
L'auteur s'est lancé un défi : Le premier jour ils se verront, le deuxième jour ils s'entendront parler et ainsi de suite. Je voudrais faire une sorte de suspense en cinq sens.
Peu à peu vont se dessiner les portraits de deux personnages forts :
Niňa Estrellita, (citée dans " Les Immortelles" à propos de Shakira) jeune et très belle Cubaine émigrée à Port-au-Prince, est prostituée et danseuse-vedette au Sensation Bar.
Description de la vie du bar : le patron, les danseuses, les clients.
EL Caucho, Cubain aussi, est mécanicien itinérant.
Ils vont se découvrir peu à peu à travers les cinq sens.
C'est une belle histoire d'amour, d'une poésie magnifique dont on découvre à la fin que les deux héros ont eu une enfance commune à Cuba.
Le pari de l'auteur est de transformer les relations Homme-Femme.
Il traduit le réalisme, sans folklore. A travers les sens, il célèbre la beauté d'Haïti et Niňa Estrellita semble être la métaphore de la Caraïbe. Il ne cache pas pour autant les points faibles de son île : corruption et magouilles en politique.
« Les latrines » :
Les latrines : Une histoire d’amour impossible :
Makenzy résume le livre :
C'est une histoire d'amour impossible entre ce jeune homme qui est à Port au Prince ou n'importe où et qui raconte sa vie, son quotidien à une femme qu'il a rencontrée ou qu'il n'a pas rencontrée, je ne sais pas. En tout cas, il parle à cette femme-là. Il lui raconte sa vie comme si cette femme existait. Il lui raconte : voilà, je suis là, je vais dans ce bar, je rencontre des copains, et toi, tu es partie – comme si la femme existait – tu m'as quitté. Et puis, il y a une bourgeoise qui, tous les week-ends, envoie son chauffeur le chercher en ville et puis il lui donne du plaisir, elle le paie. Voilà comment ça se passe.
Et elle, quelque part ailleurs, allongée sur son divan, raconte elle aussi sa vie à ce jeune homme qu'elle a rencontré ou qu'elle n'a pas rencontré. Elle raconte sa vie : le jour, elle travaille chez une bourgeoise. En fait, son job c'est de chasser le caca de la grand-mère de cette bourgeoise. La nuit, elle danse dans une boîte de nuit et elle raconte la vie de cette boîte de nuit.
C'est une correspondance, un dialogue entre ce jeune homme et cette femme, entre deux inconnus.
Un livre ponctué d’une façon particulière :
Un livre où on n'a plus de repère, c'est une sorte de chaos, d’autant plus ressenti qu’il n’y a pas de point. Ce sont les virgules qui donnent le rythme au récit dans des chapitres qui peuvent s’étaler sur deux, trois ou quatre pages.
Un livre qui touche l’universel :
Les personnages ne sont pas nommés, pas plus que les lieux : Il parle à cette femme : C'est tellement plus facile de tout te dire à toi.
Cette histoire est inventée, il y a toujours une part de soi-même dans ce livre. Je suis dans la peau de quelqu'un, d'un enfant qui rit avec sa mère dans une pièce, sans lit, sans rien...
Des pages où le ton s’adoucit :
Makenzy accepte de lire un extrait où est évoquée l’enfance du narrateur avec une mère toute puissante, celle qu’il appelle femme baobab : p.53 et 54
Par contre quelques lignes lues insistent sur l’absence du père, d’où l’expression créole caca-sans-savon, pour dire un enfant qui a grandi sans père. Moi, mon père, c’est moi.
…il est temps pour toi de te dire que le monde ne se résume pas à ce que tu as là sous les yeux, au quartier, aux latrines, d’aller au-delà de ce que tes yeux peuvent voir, de ce que tes mains peuvent toucher…
… elle était partie retrouver cette petite lumière là-bas, la seule chose qu’il me reste à faire je crois.
La poésie de Makenzy :
"Héritier de la grande tradition poétique haïtienne, la poésie de Makenzy Orcel est fulgurance – cette lumière magique qui transforme la vie et les choses en une aventure merveilleuse."
(Site Montray Kréyol)
Pour terminer la rencontre, Makenzy Orcel lit un de ses poèmes extrait du recueil "Sans ailleurs".
Fête des mers
La mer monte sur le toit
fantôme fulgurant de l’abstrait
abandonnée à sa conquête sa dérive
elle se déchire
dans un carambolage de cris
de mouvements
à éteindre le pouls du béton
la mer triche l’alphabet des marges
mer limitée à l’urgence
à l’assaut des minijupes
Pas furtifs fous
sans ancrage
limite des larmes
et de l’enfance
Le cœur plein de sable
sans battements ni arrimage
je danse avec les graffitis
je convoite ma perte
je tangue entre les lignes
et ma fêlure
Encore la mer
pour ancrer l’ennui
les nuits d’après déluge
Ma rue théâtre
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des eaux tristes
marelle d’enfants sous-entendus
sans itinéraire
veine vidée de néant
Encore elle
pour se taper le rêve
ponctuer le chant
la danse des bolides
La nuit en bandoulière
les putes sèment des étoiles
et les morts voués
à leur printemps
improvisent des rêves
funambules
Les jours foncent s’enfoncent
comme des soifs
dans des puits secs
Mer transhumant
l’âge des nudités
coït lumineux
palpitant de l’intime
Cri polychrome
que la blessure unit
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