« Etre trans est autant une fête qu’une tragédie ».
« Toute trans reçoit dans la distribution des dons, le pouvoir de transparence et l'art de
l'éblouissement ».
La question est posée dans ce livre. Comment assumer sa transexualité ? Comment la vivre au jour le
jour ? Pour les trans en Argentine, rejetées par leur famille, par la société, c’est seulement la nuit qu’elles peuvent briller, le reste du temps, elles doivent rester cachées, invisibles, la prostitution est,
la plupart du temps, leur seul moyen de subsistance.
Si Camila Sosa Villada utilise les mythes, l’univers onirique des contes pour nous permettre d’appréhender sa propre histoire, c’est pour tenir le réel à distance, pour transcender la situation cruelle vécue par la communauté des trans, la première étant la négation, le rejet de la famille, des parents qui refusent d’admettre leur différence, refusent d’aimer leur enfant. « Un jour, alors que je suis dans une réunion familiale, mon père dit : “Si j’avais un fils pédé ou drogué, je le tuerais. À quoi bon avoir un enfant comme ça ? ».
Elles n’ont d’autre choix que de fuir leur famille, s’unir, tenir au chaud ce qui les rassemble. La nuit, le parc Sarmiento à Cordoba, en Argentine, devient le territoire des prostituées trans. La tante Encarna, figure aussi monstrueuse que maternelle « aux seins gonflés à l’huile de moteur » leur offre refuge, protection et consolation. Un soir, elles découvrent dans les fourrés un bébé abandonné
qu’elles prénomment « Eclat des yeux » et décident de l'adopter.
« Éclat des Yeux, baptisé au printemps, a été l’enfant préféré des trans [...]. L’enfant trouvé dans le fossé, notre enfant commun, à nous qui étions les filles de personne, rien que des orphelines comme lui, les apprenties du néant, les prêtresses du plaisir, les oubliées, les éternelles complices. Baptisé par une putain paraguayenne habillée de pied en cap comme un animal prédateur, qui a soufflé des bénédictions sur son visage, qui a recueilli avec ses faux ongles les larmes que certaines d’entre nous avaient versées pour bénir avec ces mêmes larmes le front de l’enfant. Et à aucun moment Éclat n’a
pleuré ».
Aussi descriptif et précis dans les faits qu’il peut nous faire croire aux enchantements, le récit coule et nous entraîne dans un flot de violence, de rage, de colère, de passion, d’amour où la tante Encarna de 178 ans, Maria la muette aux bras recouverts de plumes, les hommes sans tête ont la même réalité que la cruauté des situations vécues réellement par les trans.
Ce livre est habité par un lyrisme flamboyant, il passe du rire aux larmes servi par une très belle écriture et est merveilleusement traduit par Laura Alcoba (autrice de « le bleu des abeilles »)
Extrait :
« Dans ce monde en folie
Qui nous montrait du doigt,
nous stigmatisait, nous reniait
nous insultait et nous frappait
Nous avions toutes rêvé un jour
de quitter le couteau qui nous servait d'appendice
donné à la naissance comme par erreur
Nous étions la Meute en colère,
Nous étions les Reines de la fête,
Nous étions les Orphelines,
Nous étions les Vilaines. »
« Ce que la nature ne te donne pas, l’enfer te le prête. Là, dans ce Parc qui jouxte le centre-ville, le
corps des trans emprunte à l’enfer la substance de ses charmes.
(Présentation : Simone Delorme)