Elie Soriano est né de parents juifs espagnols, en terre musulmane, à Constantinople, vers 1519. Très jeune, il montre un talent exceptionnel pour dessiner et faire apparaître en quelques instants le portrait d'un homme rencontré dans la rue ou dans une taverne; un instant de face à face lui suffit pour garder en mémoire chaque détail de sa physionomie et la dessiner après de mémoire comme si un ange guidait sa main... Ce n'était pas un enfant comme les autres.
Il sait qu'il existe à Venise des ateliers où des enfants apprennent tout ce qui touche le métier de peintre, le designo et le colorio. Et quand son père, employé du marché des esclaves, meurt, Elie n'hésite pas : il s'embarque sur un galion en partance pour Venise, avec pour toutes richesses sa pierre noire, ses plumes et trois flacons de sépia .Et il n'hésite pas à renier ses origines et à trahir son père en prenant soin de masquer son vrai nom : il sera dorénavant Ilias Troyanos, chrétien. S'il veut fuir, c'est avant tout pour échapper à la loi juive qui interdit toute représentation de la création divine : Tu ne représenteras ni la figure d'un homme, ni celle d'une femme. Ni celle d'un animal sur terre. Ni celle d'un oiseau dans le ciel. Ni d'une bête qui rampe sur le sol. Ni d'un poisson qui vit dans eaux. Rien! Tu ne représenteras rien ni personne! Voilà ce que dit la Loi. Mais Elie ne peut vivre sans dessiner.
A Venise, après six dures années d'atelier chez le Maître Le Titien, Elie, dit Le Turquetto (le petit Turc), est reçu à 18 ans dans la confrérie, ce qui lui donne le droit d'ouvrir boutique. Les commandes vont affluer. Pendant 12 ans, il va travailler d'arrache-pied : Il peignait et peignait sans cesse, en artiste et en forçat. Il sait allier dans ses oeuvres où éclate son talent, la précision du designo des peintres de l'école florentine et la sensualité du colorito des peintres vénitiens. Il devient un peintre célèbre que tout Venise encense mais lui sait rester discret. Il est au sommet de sa gloire. Il a épousé Stefania, la fille d'un peintre vénitien, gentille mais très disgracieuse. Il semble que rien ne puisse arrêter son ascension dans cette période faste de la Renaissance.
Mais le destin du Turquetto va basculer quand une jeune femme juive, très belle, se présente comme modèle pour un tableau La Vierge à l'enfant ...
Le livre nous mène de Constantinople à Venise . De cette dernière, l'auteur nous dresse un tableau saisissant : nous suivons le bouillonnement artistique de l'époque, les rapports de l'art et du pouvoir, la corruption généralisée de la ville qui s'adonne à des plaisirs profanes et que certains religieux veulent remettre dans le droit chemin grâce aux oeuvres sacrées qui doivent faire redécouvrir les vraies valeurs de l'Eglise.
(Présentation : Anne-Marie Smith)