Maïssa Bey met en exergue de son roman, une phrase de Rimbaud, « Je est un autre ».
Et c'est ce qui va guider toute cette histoire : qui est cette jeune fille d'une vingtaine d'années, que l'on découvre au début dans un décor apocalyptique de fin du monde après un tremblement de terre ?
Est-elle Wahida, « première et unique, mais aussi seule » comme la nomme Dadda Aïcha la vieille femme qui l'a recueillie inanimée et apparemment amnésique sur la route ?
Est-elle Amina, fille d'une mère « citée plusieurs fois à l'OMS, l'Ordre des Ménagères Scruoepuleuses. Gloire du Ménage, ce Dieu si exigeant devant lequel elle se prosterne chaque jour », et d'un père entrepreneur, si préoccupé de son image et de sa future élection, soeur d'un frère intégriste, qui traite sa soeur de traînée, et de deux jumelles dont on « coche sur un calendrier accroché sur la porte du réfrigérateur dans la cuisine les dates des menstrues », cette Amina qui fait une fugue et disparaît à la veille d'un mariage arrangé ? Ou encore Amina, la nièce de la femme de ménage ?
Est-elle cette autre Amina, que Dounya, une autre mère, retrouve après l'avoir vainement cherchée après le tremblement de terre ?
Est-ce le choc du chaos après le séisme, un choc psychologique qui a rendu cette jeune fille amnésique ? Amnésique vraiment ou voulant faire volontairement table rase de son passé ? « Cours, cours, et surtout ne te retourne pas », lui dicte une voix.
Maïssa Bey nous perd volontairement dans les méandres de son récit. Au cours de la lecture, il faut souvent revenir en arrière, reprendre, relire pour essayer de dénouer les fils. Dadda Aïcha le lui dit d'ailleurs quand elle retrouve cette mère qu'elle ne reconnaît pas et qui est si pleine de non-dits : « c'est à toi maintenant de dénouer les noeuds qui sont en toi. Il faut que tu retrouves l'extrémité du fil » .
Ce livre est imprégné de sensations, « un jour d'été aux couleurs de sable et de tempête » , d'odeurs aussi : « odeur exsudée de cette immense cloaque à ciel ouvert, aux entrailles ouvertes » [ ...] "Je ne serai rien d'autre que cette odeur-là, captée ce jour-là, une odeur âcre et offensante de poussière, de pourriture et de charogne". Odeur de cette maison où l'emmène Dounya,
« odeur de renfermé, pire encore, une odeur de moisi qui semble avoir pris possession des lieux. Une odeur qui suggère indubitablement l'abandon ».
Maïssa Bey exprime aussi sa colère en face de l'incurie des autorités « et sous vos pieds, les fondations sont pourries, le béton est trafiqué, le ciment est trafiqué (...) les piliers et tout le reste, toute la structure, sont aussi fragiles qu'une construction de terre et de branchages, le tout inspecté, vérifié, certifié conforme aux normes de sécurité par des agents aussi scrupuleux qu'honnêtes ! ». Ou devant « l'approximation qui caractérise toutes les informations relatives aux grandes catastrophes. [ ...] une vie, deux vies, dix vies, des centaines de vies, c'est rien, c'est rien pour eux ! Une femme, un enfant, une mère, une épouse, un fils, c'est rien, c'est rien du tout ! ».
Et quand le livre se terminera, même si quelques éléments se sont éclaircis, nous ne serons sûrs de rien.
(Présentation : Annette Rit)