Mohamed Mbougar Sarr a reçu en novembre dernier le prix Goncourt pour « La plus secrète mémoire des hommes ».
Au commencement du récit il y a la rencontre entre un homme et … un livre. Nous sommes en juillet 2018, le narrateur, Diegane Faye, est un jeune écrivain sénégalais qui poursuit ses études à Paris. Le hasard lui met entre les mains un livre dont il a entendu parler mais qui demeurait introuvable. Il s’agit du « Labyrinthe de l’inhumain » du sénégalais T.C.Elimane qui eut un grand succès dans le Paris de l’avant-guerre lors de sa publication en 1938. Une œuvre majeure car elle bouleverse tous ceux qui la lisent mais un auteur mystérieux dont il ne reste plus de traces, T.C.Elimane, a été effacé de la scène littéraire après qu’il a été accusé de plagiat. Diegane est subjugué par la lecture de ce livre. Intrigué par le silence de l’auteur fantôme, il entreprend de reconstituer sa trajectoire, son Odyssée.
Une enquête :
On lit « La plus secrète mémoire des hommes » comme une enquête littéraire qui nous transporte sur les traces d’Elimane, en différents lieux et à différentes époques : nous sommes à Paris de nos jours, Amsterdam ou Dakar, ou dans le Paris de l’avant-guerre et de la guerre, au Sénégal au temps de la colonisation, en Argentine dans les années 50 ou 80. Le roman de Mohamed Mbougar Sarr est plein d’énergie narrative avec ses formes variées ( journal, extraits d’articles de presse ou d’enquêtes journalistiques, récits de mémoires et confessions intimes etc …) et ses nombreux personnages : Aïda, l’élue de cœur de Diegane, une jeune femme libre et militante, Marème Siga D., écrivaine sénégalaise reconnue, une initiatrice à la littérature pour Diégane, c’est elle en effet qui lui procure le fameux livre du mystérieux auteur. On rencontre beaucoup d’écrivains dans le roman : les amis de Diegane à Paris, une certaine poétesse haitienne qui a connu Elimane en Argentine … et puis des conteurs dans la tradition africaine tel Ousseynou Koumakh, l’oncle qui a élevé Elimane enfant.
Des récits enchâssés :
Ces voix plurielles entretiennent la mémoire d’Elimane en révélant peu à peu les secrets de sa vie. Les narrations s’enchaînent, se relaient. Les récits sont enchâssés comme des récits gigognes et dessinent page après page le portrait en contre-jour d’un T.C.Elimane mystérieux dont nous est dévoilée peu à peu la profonde humanité au delà de l’expérience de vie chaotique. On parle de lui comme d’un astre noir, on se rappelle son charme, l’attraction qu’il exerce sur ceux qu’il rencontre, son aura … Nous apprenons peu à peu que lorsqu’il a fui la France pour l’Amérique latine il avait un but secret et envisageait une destination finale.
La quête de la littérature :
Un ami de Diegane lui dit : « J’ai compris que derrière la suite du livre, c’est la littérature même que tu crois chercher. Mais chercher la littérature, c’est poursuivre une illusion. Chercher la littérature, c’est chercher la merde ». " La plus secrète mémoire des hommes" sonde l’attraction qu’exerce la littérature, son pouvoir mais aussi ses impasses. Diegane l’aspirant écrivain est sur les traces de sa propre vocation littéraire. Il s’interroge, parfois avec humour, sur la double appartenance des écrivains africains francophones et sur l’idéal d’universalité auquel aspirent les hommes.
Mohamed Mbougar Sarr nous offre avec « La plus secrète mémoire des hommes » un roman dense, ambitieux, plutôt cérébral mais non dénué d’humour et de sensualité. C’est un bel éloge de la littérature et un chant d’amour à la terre africaine et à la culture d’origine.
Littera 05 avait reçu à Gap en mars 2020 Mohamed Mbougar Sarr autour de son précédent roman « De purs hommes ».
Présentation : Tiziana Champey