« Tu te réveilles le matin et tu sais d’avance que c’est un jour déjà levé qui se lève . Que cette journée qui commence sera la sœur jumelle de celle d’hier, d’avant-hier et d’avant-avant-hier. »
Ainsi débute « Photo de groupe au bord du fleuve » d’Emmanuel Dongala
L’auteur prend le parti de s’adresser à sa protagoniste Méréana et de la suivre tout au long de sa journée . Chez elle, où elle vit séparée de son mari, élevant trois enfants, dont le bébé de sa sœur qu’elle a recueilli lorsque celle-ci est morte du sida . Sur le chantier, au bord du fleuve où elle trime avec une quinzaine d’autres femmes, sous le soleil tropical, cassant des pierres, les transformant en gravier. Dix mille francs le sac. C’est le prix de leur galère quotidienne.
Or, avec la construction du nouvel aéroport voulu par le président, la demande de gravier croît. Elles pourraient peut-être tirer leur épingle du jeu et vendre leur sac plus cher …
C‘est une âpre lutte qui commence pour ces femmes dont Méréana est le porte- parole.
Rien ne leur est épargné : intimidations, confiscations, violence physique et morale, arrestations. Ces femmes exploitées, blessées et infériorisées depuis toujours, affirment alors leur capacité de résilience et leur détermination. Elles découvrent leur sororité.
La radio et ses nouvelles calamiteuses qui rythment le récit et les particularités de la vie des personnages, dressent en toile de fond le tableau d’une Afrique contemporaine aux maux innombrables : analphabétisme et chômage des jeunes diplomés, un certain obscurantisme
( des femmes sont bannies de leur village, suspectées de sorcellerie), mariages forcés ( « Un mari, comme un chef, ça se respectait » ), tragédie du sida liée à l’incurie de maris volages qui refusent le préservatif …
« Photo de groupe au bord du fleuve », c’est donc, avec parfois de belles touches d’humour, une critique politique acerbe : on y voit la corruption et les fraudes électorales, l’accaparement des richesses par quelques uns et la répression de manifestations qui laissent des morts sur le carreau, la guerre des factions pour le pouvoir et le viol comme arme de guerre.
Méréana et ses compagnes sont bien mal traitées, mais elles ont pour elles, courage, verve et humour devant des hommes plutôt pitoyables avec, pour beaucoup d’entre eux, leur lâcheté et leur « 2ème bureau » ( = leur maîtresse attitrée ), et c’est avec intelligence et sur un léger ton de farce que ces aventurières vont narguer le pouvoir en place et déjouer les tentatives de récupération de leur lutte.
C'est une belle histoire de résistance et de volonté d’émancipation de femmes face à leurs difficultés d’accés aux ressources économiques.
Cette photo de groupe, c’est celle que Méréana et ses compagnes ont prise, un soir, sur le chantier, comme pour sceller leur décision commune de préserver leur dignité.
Présentation : Tiziana Champey