Le super robot de type 9, Bob Spofforth, dirige le monde avec intelligence, efficacité et rigueur, son corps parfait ignore la fatigue mais son esprit est traversé de pensées parasites, d’idées suicidaires, toujours à la recherche des zones d'ombre de sa mémoire. Il se souvient parfois du monde d’avant et se laisse gagner par un certain sentimentalisme. « Spofforth avait été conçu pour vivre éternellement et ne rien oublier. Et les hommes à l'origine de ce projet ne s'étaient même pas interrogés sur le drame qu'une telle existence pouvait représenter ». Sa rencontre avec Paul Bentley, un des rares hommes à savoir lire, puis avec Mary Lou, va l’amener à se poser des questions existentielles...
Les humains sont abrutis par les écrans, dépendants des drogues, ne sachant plus lire, ni écrire, deux activités symboles de savoir et d’intelligence ayant été bannies pour la tranquillité de l’esprit. Des êtres qui ne savent plus ce que vivre ensemble ou travailler veulent dire. Il n’y a plus rien à faire, Les robots sont plus efficaces et peuvent assumer toutes les tâches. Il n’y a plus qu’à se laisser aller, à prendre ce Sopor qui endort toute velléité de révolte ou de désir. Un monde en sommeil.
En sommeil, comme les livres qui n’ont pas été brûlés mais oubliés dans les caves des bibliothèques, des universités. Ils prennent la poussière comme la majorité des membres de la justice ou du gouvernement.
Le constat est accablant pour cette société en déclin où Il n’y a plus d’enfants pour assurer sa survie.
Cependant, ce livre n’est pas un livre nostalgique ou triste. C’est un lanceur d’alerte. Il met l’accent sur les dérives d’une société vouée aux décisions de scientifiques peu soucieux de ce qui doit être préservé.
Grâce à Paul et Mary-Lou, deux candides, sorte d’Adam et Eve, qui vont réinventer les possibles, l’espoir renaît.
L’alternance des trois voix, Spofforth, Paul et Mary-Lou nous fait progressivement ressentir toutes les étapes de l’apprentissage, des doutes, de la naissance des sentiments, de l’importance du passé, de la mémoire.
C’est un livre brillant, visionnaire qui met la littérature au centre du questionnement.
Outre l’oiseau moqueur, de nombreux autres romans de Walter Trevis sont devenus cultes et ont été adaptés à l’écran : l’Arnaqueur, l’homme tombé du ciel, le jeu de la dame, la couleur de l’argent.
Extraits : « Mais plus que tout, je le sais maintenant, rien n'aurait été possible si je n'avais pas eu le courage d'accepter et d'analyser les sentiments qui sont nés lentement en moi, d'abord dans l'ancienne bibliothèque à la projection de ces images émotionnellement si riches, puis à la lecture des poèmes, des romans, des livres d'histoire, des biographies et des ouvrages de bricolage que j'ai trouvés plus tard. Ce sont tous ces livres, même les plus ennuyeux et les plus hermétiques, qui m'ont aidé à comprendre ce que cela signifiait d'être un être humain. Et j'ai aussi appris, à travers le sentiment de sidération que j'éprouve parfois quand j'ai l'impression d'entrer en contact avec l'esprit d'une personne morte depuis longtemps, que je n'étais pas seul sur cette terre. D'autres ont ressenti ce que je ressens, ceux qui, à certaines époques, ont réussi à dire l'indicible. »
« Je me sens libre et fort. Je sais que je ne me sentirais pas ainsi si je n'avais pas lu de livres. Quoi qu'il puisse m'arriver, je remercie le ciel de savoir lire, d'avoir pu entrer en réel contact avec l'esprit d'autres hommes »
« Je voudrais être assis à écrire ces mots plutôt que de les dicter dans un magnétophone. Car c'est sans doute l'écriture autant que la lecture qui m'a aidé à prendre si fortement conscience de ce que je suis devenu ».
(Présentation : Simone Delorme)