Gap -  Hautes-Alpes

Mon traître

Sorj Chalandon

Grasset, 2007

 

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Antoine, le narateur, un luthier parisien, a découvert l’Irlande à travers sa musique. Les chansons dans les pubs, il n’en comprenait pas toujours les paroles mais il savait qu’il était question de guerre et de révolte et très vite il a appris à mêler sa voix à celle des autres quand on entonnait « Soldier’s song ». Longtemps, je n’ai retenu des paroles irlandaises que leur harmonie, leur couleur, leur effet sur mes voisins de table. Plus tard, bien après, à les entendre, et encore, et encore, je finirai par donner un sens à ces lamentations. Celles qui pleurent la Grande Famine, celles qui célèbrent l’insurrection de 1916, celles qui racontent la guerre d’indépendance ou le martyre des grévistes de la faim.
Guidé par ses amis Jim et Cathy qui m’ouvraient un lit quand je venais en Irlande du Nord, il va peu à peu se rapprocher des gens qui vont se mettre à le saluer comme un des leurs, comme celui qui vient ici pour partager le temps. Et lui se sent devenir un des leurs sans le vouloir, sans faire exprès, sans rien changer à mon attitude. A tel point qu’il va vouloir sauter le pas et rentrer dans la résistance en faisant des petites opérations pour l’IRA : héberger des Irlandais à Paris, transmettre des sacoches : J’étais entré dans la beauté terrible et c’était sans retour.
Entre temps, il va rencontrer celui qu’il appelle « mon traître ». C’était en 1977, dans les toilettes d’un pub : Attention à tes chaussures, fils. Les premiers mots du livre rappellent cette rencontre La première fois que j’ai vu mon traître, il m’a appris à pisser. Cet homme, c’est Tyrone Meehan, un vétéran de l’armée républicaine, une figure emblématique de la lutte. Antoine est fasciné et l’amitié qui naît va renforcer encore plus l’amour qu’il éprouve pour l’Irlande du Nord et son désir de participer à la guerre qui la déchire.
Mais voilà qu’à la page 107, le rythme de l’histoire est cassé : on fait un bond dans le temps pour se retrouver en 2006, alors que Tyrone est interrogé par l’IRA : Tyrone est un traître qui a renseigné pendant 20 ans les services secrets britanniques, un traître à son pays, à sa famille, à ses amis, à son combat.

Antoine, c’est Sorj Chalandon, journaliste à Libération, qui a couvert le conflit irlandais pendant de longues années. Tyrone, c’est Denis Donaldson qui, lâché par les Britanniques, a confessé en 2005 sa trahison, au cours d’une conférence de presse. Il ne dira jamais à personne les raisons de sa trahison ; il sera abattu deux ans plus tard dans un cottage où il vivait seul et abandonné de tous. On n’a toujours pas identifié ses meurtriers.
Profondément bouleversé par ces événements, se sentant trop impliqué,  Sorj Chalandon n’a pas le courage de faire son travail de journaliste. Il choisit d’écrire un roman, une fiction donc. Dans une interview au Nouvel Observateur, il explique lui-même son choix :
J’ai choisi la fiction parce que je voulais le voir avant qu’il ne meure. N’ayant pas pu le voir avant sa mort, j’ai chargé mon petit héros de fiction, Antoine, d’aller voir le traître et de lui poser la question que je n’ai pas pu lui poser : «Est-ce que notre amitié était réelle ou non ? Donc la fiction était pour moi un moyen d’aller voir mon traître après sa mort, ce que je n’ai pas pu faire dans la réalité.

L’écriture pour faire sortir la douleur qui dévaste, l’écriture qui joue son rôle de catharsis ?  Mais Sorj Chalandon répond : J’ai mis entre parenthèses ma carte de presse, mes appétits habituels de savoir et de comprendre, j’ai mis entre parenthèses tout ce qui fait que nous sommes des journalistes ; je me suis dit que le seul moyen de m’en tirer c’est de prendre du recul par rapport à ça, de m’en éloigner parce que j’étais douloureux ; je savais que faire un travail de journaliste ne me guérirait pas. J’espérais qu’en faisant un roman je m’éloignerais de tout ça et que j’aurais une autre vision. J’ai échoué… parce qu’il y a mon petit héros de papier qui existe, il y a mon petit traître de papier qui existe et Denis Donaldson qui est là, qui est présent et je n’ai pas réussi à faire la jonction entre les deux personnages…