Après le succès de Station Eleven, son précédent roman traduit en une traentaine de langues - récit post-apocalyptique décrivant un monde où la civilisation s'est effondrée suite à une pandémie foudroyante - la canadienne Emily St. John Mandel  publie L’Hôtel de verre. Le point de départ de ce nouveau livre est la  fameuse affaire Madoff, le scandale financier qui a défrayé la chronique en  2008. Pour assurer les rendements exceptionnels et  réguliers qui faisaient sa réputation, il utilisait l’argent des nouveaux  investisseurs pour payer les anciens. Jusqu’à la crise financière de 2008 qui fait  s’écrouler son système. 
          Le  roman d' Emily St. John Mandel est  construit sur un  compte à rebours. La chute est connue d'avance : une jeune femme disparaît  en  mer en tombant d'un navire. Puis l'action proprement dite débute 13 ans auparavant,  dans un décor de rêve : un hôtel de  luxe dans un endroit isolé au nord de l’île  de Vancouver, inaccessible en voiture. La clientèle, exclusivement constituée  de milliardaires , y accède par bateau afin d'y contempler la beauté des couchers  de soleil sur une nature préservée, bien à l’abri derrière de larges baies  vitrées.
            
            Paul,  aspirant compositeur, et sa soeur Vincent (qui porte un prénom masculin),  vidéaste amateure, travaillent tous deux à l’hôtel Caiette. Un soir, alors  qu’on attend l’arrivée de Jonathan Alkaitis,  milliardaire américain et propriétaire des  lieux, le gérant découvre avec horreur un tag gravé sur l’une des parois  transparentes : "Et si vous avaliez du verre brisé ?",  graffiti menaçant qui semble destiné à  Jonathan Alkaitis.   
            A  partir de là, le destin de Vincent va basculer, lié à celui du milliardaire et  à tous les autres personnages qui vont progressivement se greffer autour d'eux.
            
            Le  roman raconte les circonstances de la chute de Jonathan Alkaitis, de la ruine  de tous ceux qui lui ont fait confiance, employés, compagnes et victimes,  autant par naïveté que par avidité. 
            La  structure narrative  utilisée par Emily  St.John Mandel fait écho au montage financier utilisé par Madoff pendant des  dizaines d'années : la fameuse pyramide de Ponzi. L'auteure a très habilement  construit de la même façon son récit, l'intrigue s'enrichissant au fur et à  mesure de personnages secondaires qui prennent de plus en plus d'importance et  portent l'histoire jusqu'à l'effondrement.
            Elle  s'intéresse au moment de bascule dans l'existence des personnages et met en  évidence les mécanismes  qui les ont  conduits  à se laisser enfermer, plus ou  moins consciemment, dans une vulnérable mais séduisante bulle d’irréalité, à  l’image de cet hôtel de verre, cocon douillet et exclusif à l’écart du monde,  dont on en vient à oublier qu’il pourrait voler en éclats comme du cristal.  Autour de la trame de cette criminalité en col blanc, ce roman noir se déploie  sur des dimensions aussi bien psychologiques que fantomatiques où la culpabilité occupe une place centrale.
          Extrait :
            « Il  y a du vrai là-dedans, décide-t-il plus tard, en faisant la queue pour le  dîner. Il est possible de savoir qu’on est un criminel, un menteur, un homme  sans grande moralité, et en même temps de ne pas le savoir, en ce sens qu’on a  le sentiment de ne pas mériter sa punition, d’avoir droit, malgré les faits  bruts, à de la clémence, à une sorte de traitement spécial. On peut savoir  qu’on est coupable d’un crime très grave, qu’on a volé d’énormes sommes  d’argent à de multiples clients et que cela a entraîné la misère pour certains  d’entre eux et le suicide pour d’autres, on peut savoir tout cela et néanmoins  considérer qu’on est victime d’une injustice quand le jugement tombe. »
          (Présentation : Catherine Soubigou)