Caroll Oates publie à une vitesse impressionante : Depuis 1964, elle publie des romans, des essais, des nouvelles, du théâtre et de la poésie. Au total plus de soixante-dix titres. Voilà Folles nuits, recueil de nouvelles publiées dans différentes revues . Elle imagine les derniers jours de cinq géants de la littérature américaine. Dans l’ordre : Poe, Dickinson, Twain, James et Hemingway. ; Elle imagine, elle brode autour de ce qu’est l’univers de ces écrivains, et surtout elle dit la folie inhérente au génie.
Elle fait d’Edgar Allan Poe un gardien de phare. Il est engagé dans une expérience sur les effets de « l’isolement extrême chez l’ homme», il explore les profondeurs de la solitude face à une mer souvent déchainée, avec pour seule compagnie un chien. Il développe bientôt un étrange rapport à la faune alentour, avant d’affronter un monstre marin, né de sa démence pour lequel il éprouvera des sentiments quelque peu ambigus.
Cette solitude ne fait qu’aggraver sa folie qui enfle démesurément et finit par emporter définitivement sa raison. On est avec lui dans un monde fantastique et on pense bien sûr aux nouvelles étranges et inquiétantes qu'il a écrtites.
Elle fait d'Emily Dickinson une poupée androïde, un jouet pour un couple sans enfant qui se dit féru de poésie. Mme Krim est persuadée d'avoir du talent, elle harcèle Emily pour lui arracher une appréciation favorable sur ses poèmes. Cette poupée est supposée adopter un comportement proche de la réalité, et le couple est persuadé d'avoir acquis, à très gros prix, une personne réelle. En fait elle est bardée de technologie, de puces, de boutons sur lesquels on peut appuyer pour la mettre en pause.
Elle fait d’Henry James un bénévole dans un hôpital pendant la guerre de 1914-1916, Il doit pénétrer dans une salle remplie de soldats blessés : sa première impression est une répulsion face à ces hommes blessés, couverts de sang, et même réduits à l’état de charpie. Ça ne l’empêche pas de s’enticher et de fantasmer sur ces garçons par lesquels il a toujours été attiré et à qui il voue un culte honteux.
Mark Twain n’est pas mieux loti : il est lui, très attiré par des jeunes filles de 10 à 15 ans avec lesquelles il échange des lettres de plus en plus enflammées. Il est attiré par leur innocence et leur pureté . Il se montre paternel, aime que ces jeunes filles l'admirent mais il s’en détache et n'hésite pas à s'éloigner dès que la situation se gâte, refusant lâchement de voir combien son indifférence est cruelle pour la jeune fille.
La dernière est consacrée à Hemingway, un Hemingway face à sa propre destruction , son suicide. Toute l’histoire tourne autour de l’obsession des armes à feu que l'on connaissait à Hemingway.
On découvre ainsi que ces grandes figures qui ont marqué toute l’histoire américaine étaient surtout des hommes et femme profondément perturbés. Caroll Oates s’empare d’une faille psychologique de ces écrivains, certains faits de leur vie et invente autour des histoires de folie, de désespoir, de solitude. La solitude tragique et les terreurs morbides pour Poe et Dickinson, l’amour fou de Twain pour des petites filles lui rappelant sa chère fille Suzy, morte à l’orée de l’adolescence, l’homosexualité refoulée d’Henry James et la dépression d’ un Ernest Hemingway, fasciné par les armes à feu et leur pouvoir de destruction.
Des personnages hors norme, dont le drame était justement qu’ils n’étaient pas comme les autres. Elle nous fait dépasser ce qui a fait leur célébrité, les désacralise en quelque sorte et nous oblige à regarder leur folie, l’autre face de leur génie.
De bien belles nouvelles mais bien effrayantes par certains côtés.
(Présentation :Anne-Marie Smith)