Un huis-clos dans un train en route vers "la ville du Vieux Port". Trois personnages : la narratrice, la première installée dans le wagon; un homme d'une soixantaine d'années; et enfin une jeune fille appelée Marie, comme l'indique un bijou qu'elle porte au cou. Chacun s'isole dans son coin, derrière un livre, un journal ou un walkman sur les oreilles. Mais le contact va s'établir entre les trois personnages et petit à petit des révélations vont être faites :
La narratrice est algérienne, elle a fui son pays, a tout quitté pour venir en France : "Elle ne veut plus subir le choc des exécutions quotidiennes, des massacres et des récits de massacres, des paysages défigurés par la terreur, des innombrables processions funèbres, des hurlements des mères... les regards menaçants...Elle a fui pour tenter de se préserver de la peur qui broie, qui bride, qui pétrifie et surtout qui finit par détourner de tout sentiment humain, parce qu'elle aveugle au point de faire naître la haine, la violence, le désir irrépressible de vengeance, la tentation de tuer avant d'être tué..." Ses pensées ne peuvent s'arracher à l'image de son père, souvenir porté par quelques photos qui lui restent, son père instituteur dont elle n'a récupéré que deux objets qui lui appartenaient : ses lunettes et son alliance, son alliance que quelqu'un lui a retiré du doigt... son père "glorieux martyr de la révolution" qui est mort sous la torture.
L'homme est un ancien médecin qui a bien connu l'Algérie. Il a été médecin militaire en 1956-57, dans un camp spécial, un camp où on amenait de jour et de nuit les "terroristes" et leurs complices qu'il fallait faire parler coûte que coûte : "Allez-y! Et surtout ne vous laissez pas avoir s'ils prétendent ne rien savoir ! Ils finissent tous par parler...Il y en a de plus coriaces que d'autres. Et alors là, il faut sortir le grand jeu. Faut pas hésiter !"
Le troisième personnage, Marie, se met à les écouter; elle ne sait rien de cette histoire, elle est trop jeune. Elle a entendu son grand-père en parler, lui qui a quitté l'Algérie après la guerre. Alors elle voudrait en savoir un peu plus.
La tension et l'émotion sont constantes dans ce récit-témoignage que Maïssa a longtemps gardé enfoui en elle : "Ce récit que j'ai eu tant de mal à écrire et qui est là enfin" révèle une dédicace de l'auteur . Une histoire longtemps cachée, refoulée, entourée de silences et de non-dits. Une histoire qui a permis à Maïssa Bey de faire revivre son père, dans un récit d'où ne suinte aucun sentiment de haine ni de vengeance. Mais ce dont Maïssa a pris conscience, c'est que ceux qui torturaient n'étaient pas les monstres qu'elle imaginait : "Toute petite déjà elle essayait de donner un visage aux hommes qui avaient torturé puis achevé son père avant de le jeter dans une fosse commune. Mais elle ne parvenait pas à leur donner un visage d'homme. Ce ne pouvait être que des monstres... Elle voyait alors des hommes encagoulés, entièrement vêtus de noir pour mieux se fondre dans la nuit, un peu à l'image des bourreaux représentés dans les livres et les films d'histoire. Des hommes sans visage... des hommes qui n'avaient rien d'humain"
Mais là dans le train, ses rêves d'enfant se sont évanouis :"Elle se dit que rien ne ressemble à ses rêves d'enfant, que les bourreaux ont des visages d'homme, elle en est sûre maintenant, ils ont des mains d'homme, parfois même des réactions d'homme et rien ne permet de les distinguer des autres. Et cette idée la terrifie un peu plus."
(Présentation : Anne-Marie Smith)