Gap -  Hautes-Alpes

Chaudun, la montagne blessée

Luc Bronner

Seuil, 2020

 

- Accueil

- Qui sommes-nous ?

- Livres nomades 2024_2025 :

   Presentation de l'action
    Choix des livres nomades
    Les lieux relais

- Livres nomades :
      (années précédentes)


   2024_2025
   2023_2024
   2022_2023
   2021_2022
   2020_2021
   2019_2020
   2018_2019
   2017_2018
   2016_2017
   2015_2016
   2014_2015
   2013_2014
   2012_2013
   2011_2012
   2010_2011
   2009_2010
   2008_2009

- Autres livres autour du theme choisi :

    Les livres nomades retournent vers le futur
    Les livres nomades passent à l'Est
    Le roman, écho de notre temps
    Petites maisons d'édition
    Terres d'Afrique
    Des histoires de grands espaces
    L'art dans le roman
    Chemins d'exil


- Rencontres littéraires :

     Sylvain Prudhomme et Marion Bortoluzzi
     Dima Abdallah
     Fanny Saintenoy
     Giosue Calaciura
     Laurent Petitmangin
     Yamen Manaï
     Céline Righi
     Andreï Kourkov
     Hadrien Klent
     Serge Joncour
     Sorj Chalandon
     Clara Arnaud
     M. de Kerangal et S. Prudhomme
     Luc Bronner
     Mohamed Mbougar Sarr
     Abdourahman Ali Waberi
     Catherine Gucher
     Guillaume Jan
     Jean Hegland
     Pierre Benghozi
     Jean-Baptiste Andrea
     David Vann
     Joseph Boyden
     Guy Boley
     Franck Pavloff
     Michel Moutot
     Nicolas Cavaillès
     Sandrine Collette
     Slobodan Despot
     Gauz
     Pierre Lieutaghi
     Kaoutar Harchi
     Sylvain Prudhomme
     Olivier Truc
     Maylis de Kerangal
     Antonio Altarriba et Kim
     Makenzy Orcel
     Metin Arditi
     Dinaw Mengestu
     Gilles Leroy
     Denis Grozdanovitch
     Alice Zeniter
     Serge Joncour
     Liliana Lazar
     Joel Egloff
     Christophe Bigot
     Boualem Sansal
     René Fregni
     Jean Pierre Petit
     Hubert Mingarelli
     André Bucher
     Beatrice Monroy
     Samuel Millogo
     Alfred Dogbé
     Ghislaine Drahy
     Autour d'Isabelle Eberhardt
     Hélène Melat, littérature russee

- Des coups de coeur :

   La Liste

- Lecture à haute voix :


    2024_2025
    2023_2024
    2022_2023
    2021_2022
    2020_2021

- Lectures partagées à Gap :

    2024_2025
    2023_2024
    2022_2023
    2021_2022
    2020_2021
    2019_2020
    2018_2019
    2017_2018
    2016_2017
    2015_2016
    2014_2015

- Pérégrinations littéraires :

    2023_2024
    2022_2023
    2021_2022
    2020_2021
    2019_2020
    2018_2019
    2017_2018
    2016_2017
    2015_2016

- Emission-radio sur la ram et rcf :

    2024_2025
    2023_2024

- Emission-radio sur Fréquence Mistral (archives)

    2022_2023
    2021_2022
    2020_2021
    2019_2020
    2018_2019-

- Contact

-bulletin adhesion


 

Luc Bronner :
Né en 1974 à Gap, a grandi dans le village de Saint Bonnet en Champsaur où ses parents étaient médecins. Il est journaliste et est directeur des rédactions du Monde de 2015 jusqu’à fin 2020, puisqu’il va quitter cette direction. Il explique lui-même pourquoi : « Par désir personnel, par décision positive, heureuse même : après dix années de chefferie, je brûle de retrouver le stress du reporter qui part sans savoir ce qu’il va trouver, les rencontres avec des interlocuteurs qui ne sont pas des journalistes, les nuits blanches de café et d’écriture, l’excitation si particulière de l’enquête et de l’information exclusive… »

Chaudun, la montagne blessée :
 Luc explique dans le prologue (p.9 et 10) : « Ce sont les restes d’un village. Vous montez un col, traversez une forêt, longez une rivière… Au fond de la vallée, au milieu de nulle part, hors du monde, dans un des plus beaux paysages des Alpes françaises, les ruines de ce hameau me hantent… Enfant, j’ai joué à cache-cache dans ces bois, j’ai marché dans les ombres de ces vestiges…. Les bêtes sauvages y pullulent… Mais l’homme, si petit à l’échelle du temps, de la roche et des éléments, a disparu. »
En résumé, c’est l’histoire d’un village des Hautes-Alpes, Chaudun,  situé entre Dévoluy et Champsaur, que les habitants, ces déracinés volontaires,  ont vendu à l’Etat, plus spécialement aux Eaux et forets,  en 1895, pour s’exiler vers l’Amérique ou vers les montagnes voisines.
Luc condense l’histoire en quelques mots :
L’histoire d’un désastre écologique et humain, d’un suicide collectif et d’une étonnante résurrection.

Attardons-nous sur ces trois points qui résument bien le livre.

Un désastre écologique et humain : Le titre du livre le dit bien « La montagne blessée ». A la fin du XIXe siècle et des années avant, la misère s’est installée petit à petit dans la vallée de Chaudun ;  il était devenu  impossible de continuer à y vivre : les habitants (une centaine)  vivaient de l’élevage des moutons, et en plus des moutons du village, on accueillait des milliers d’autres venus de Provence en transhumance, ce qui apportait un peu d’argent dans les foyers mais c’était une catastrophe pour les pâturages devenus complètement stériles. Il n’y avait plus de quoi nourrir les bêtes et par conséquent les gens qui vivaient du pastoralisme.
La vie sera de plus en plus dure pour les familles qui vivent dans le village. La misère humaine va s’ajouter au désastre écologique : La vallée est complètement isolée et loin de tout secours médical. Gap se trouve à  19 kms. Alors beaucoup de femmes meurent en couches, de nombreux enfants meurent à la naissance ou dans les années qui suivent (p.19, Luc en dresse la liste de 1878 à 1894 : 40 enfants sont morts à la naissance ou dans les années qui ont suivi) « J’ai envie d’écrire leur nom, laisser une trace, comme un murmure dans une haute vallée de montagne. » A partir d’archives sur lesquelles il s’est blessé les yeux, de photos, Luc va imaginer ce que fut la vie des hommes et des femmes de ce village, en donnant  une place importante aux instituteurs et aux curés qui ont partagé la vie des  gens, jamais trop longtemps, ce qui dit bien la détresse du village.

Luc a retrouvé une lettre perdue dans un dossier d’archives, envoyée par la population de Chaudun au ministre de l’agriculture, en 1888. Lisez cette lettre p.42, une lettre pleine de désespoir mais d’une force d’écriture  assez surprenante et dont le choix des mots lui donne une dimension quasi poétique. Ce que les habitants demandent dans cette lettre, c’est tout simplement le droit de vivre dans la dignité, ce qu’ils ne peuvent plus faire et par conséquent, « vaincus par l’indigence, nous avons l’honneur de proposer au gouvernement l’achat du territoire de notre commune ».

Voilà le suicide collectif que Luc nous a annoncé dès le prologue.
Leur demande va se réaliser 8 ans plus tard, le 6 Aout  1895. C’est pour les habitants un véritable déchirement de quitter leur vallée, leur maison, leurs montagnes,  le cimetière où sont enterrés tous leurs ancêtres. «  J’ai commencé par le cimetière au milieu des folles herbes de la montagne d’été…. Le cimetière, c’est là mieux qu’ailleurs, que se comprennent les sociétés. Leurs fractures. Leurs plaies. Leurs secrets » Il ne reste dans le cimetière qu’une seule pierre tombale «  Félicie Martin, morte le 30 avril 1877, à l’âge de 17 ans »
 Félicie Martin, Luc va en faire comme l’héroïne de son livre : « J’ignore quels étaient ses espoirs et ses peurs. J’ignore à quoi ressemblait son visage, si elle avait gardé ses cheveux longs … A-t-elle eu le temps d’être « une demoiselle aux petits airs charmants »  comme l’écrivait Rimbaud, presque au même moment, dans une autre France, si différente ?  »
Par ailleurs Luc fait souvent allusion à la condition des femmes dans le village : Outre que beaucoup mouraient pendant un accouchement, drame banal de la condition féminine,  elles n’avaient pas souvent leur mot à dire, c'était leur destin de femme de ne pouvoir dire non, de travailler et de faire des enfants.

Où vont partir les gens du village ? Certains sont restés dans la région, à Gap par ex. D’autres sont partis pour l’Amérique, vers la Californie plutôt, promesse d’un rêve et d'un horizon. D’autres ont choisi l’Afrique du Nord. C’est l’époque d’une importante migration : dans la vallée voisine du Champsaur, 5000 personnes en 50 ans sont parties pour les USA et aussi l’Argentine et le Chili.

La dernière partie de livre est très belle : Il imagine d’abord comment les maisons ont disparu, détruites peu à peu par les intempéries, comment elles ont été envahies par les animaux qui y ont fait leurs nids et leurs tanières.

Puis c’est « une étonnante résurrection » à laquelle on assiste. Après le départ de l’homme la vallée s’est ensauvagée, le règne végétal et animal a repris ses droits : des millions d’arbres ont été plantés par les Eaux et Forêts. Il parle d’une orgie du végétal, d’une opulence  qui fait naître une étrange sensation de vertige face à la beauté infinie.

Luc utilise des mots, une langue qui montre que face à la nature, il laisse parler ses émotions, des émotions qui ressurgissent de l’époque où il était enfant « l’enfant rêveur qui continue de vivre en moi » On n’est plus dans une enquête journalistique (n’oublions pas que Luc est journaliste), une enquête froide, distante, quand le journaliste se retient de montrer ses sentiments. On est dans un récit où Luc ne se contente pas de dire les faits, il se laisse emporter par une intense émotion, celle qu’il ressent face au destin tragique de ces villageois et aussi face à la montagne. Il y a dans ce livre des passages descriptifs sur la montagne qui montrent que Luc a pour elle un sentiment qui se rapproche de la vénération : quand il raconte la bise, l'automne, quand il décrit le grésil, la mer de nuages, et surtout la neige qui plonge la vallée de Chaudun dans un sommeil qui peut durer six mois, le silence de la neige, ce silence qui tombe, qui atténue, qui adoucit …

Pour finir arrêtons-nous sur les derniers mots du livre qui ouvrent sur notre monde actuel : « Chaudun raconte notre passé et notre futur probablement. »

(Présentation : Anne-Marie Smith)