Yosef est venu s’installer aux USA en 1980, pour fuir le régime éthiopien auquel il était opposé. Trois ans plus tard, son épouse Maria est venue le rejoindre. Bien que mariés, ils se connaissent mal, sont même des inconnus l’un pour l’autre. C’est pour cela qu’ils décident de faire un voyage ensemble, à Nashville, à bord d’une Monte Carlo rouge. Yosef pense ainsi découvrir un peu mieux les Etats Unis, en visitant des lieux chargés d’histoire. Ce voyage leur permettra de mieux se connaître, malheureusement pas pour le mieux. Ce voyage sera le point de départ de disputes violentes, de coups portés par Yosef à sa femme, de fuites ratées.
30 ans plus tard, Jonas, leur fils, le narrateur du roman, vit lui aussi un mariage fragile, il voit le couple qu’il forme avec Angela se déliter. C’est un homme solitaire, qui ne sait trop où est sa vie, qui reste silencieux quand sa femme veut essayer de le comprendre. En fait depuis longtemps il a fait en sorte de se faire oublier, depuis son enfance : Si je ne savais pas trop qui j'étais, ce qui était possible, c'était seulement parce qu'il y avait trop longtemps que je m'appliquais à paraître prresque rien - pas anonyme ni invisible, juste assez insignifiant pour me fondre dans le paysage et me faire oublier.
Leur manque à tous les deux le souvenir de leur passé, de leurs racines qui leur permettrait de savoir qui ils sont, de connaître leur identité. Il va partir sur les traces du voyage de ses parents, pour essayer de reconstituer l’histoire de sa famille : Il prend la route pour devenir américain, comme l’ont fait les pionniers de la conquête de l’Ouest, nous a dit Dinaw Mengestu lors des Correspondances de Manosque.
Le livre alterne les chapitres : un sur ses parents, suivi d’un sur lui et son couple, comme si les deux étaient imbriqués l’un dans l’autre, comme si le comportement des uns pouvait influencer le comportement des autres.
C’est par le biais de la fiction qu’il va trouver la réalité qui lui échappait : par ex. il n’a pas tous les éléments de la vie de son père, il va donc les inventer. L’imagination va lui permettre de comprendre, de reconstituer le souvenir resté flou, de combler les lacunes de sa mémoire. C’est par la fiction qu’il va retrouver son identité. Imaginer, inventer, c’est une habitude qu’il a : quand il travaillait dans une association qui reçoit des émigrants pour les aider à remplir leur formulaire de demande d’asile, il enjolive leur récit pour leur donner plus de chance d’être acceptés. Quand il raconte l’histoire de son père à ses étudiants, il en fait un récit étonnant, celui d'un homme qui traverse des pays et des océans pour arriver aux USA.
Il y a donc continuellement ces allers-retours entre la réalité et la fiction.
Le titre nous invite à avoir les yeux sur le monde, à découvrir le sens caché des choses, à percevoir cette espèce d’aura qui entoure les êtres, faite de sentiments, de pensées échangés entre deux êtres comme des particules qui composent l’air que nous respirons.
On retrouve dans ce livre les mêmes thèmes que dans son premier : l’exil, le sentiment d’être étranger, la difficulté de s’intégrer au rêve américain, les dégâts provoqués par le déracinement. Le voyage que les émigrants entreprennent n’est pas fini quand ils arrivent dans un pays. C’est un voyage au fond d’eux-mêmes qui commence, le voyage à la recherche de leurs vraies racines.
A Manosque, Dinaw Mengestu nous a dit : En perdant ma langue, j’ai perdu mon histoire, celle de l’Ethiopie. Si j’écris c’est pour remplir cette histoire parce que je n’ai rien. En comprenant mon histoire, je comprends le monde.
La littérature qui permet ce voyage, la fiction qui comble les manques, qui permet ainsi d’atteindre la vérité, voilà un bien beau rôle.
(Présentation : Anne-Marie Smith)