Maylis de Kerangal nous présente son livre "Canoës":
« J’ai conçu Canoës comme un roman en pièces détachées : une novella centrale, “Mustang”, et autour, tels des satellites, sept récits. Tous sont connectés, tous se parlent entre eux, et partent d’un même désir : sonder la nature de la voix humaine, sa matérialité, ses pouvoirs, et composer une sorte de monde vocal, empli d’échos, de vibrations, de traces rémanentes. Chaque voix est saisie dans un moment de trouble, quand son timbre s’use ou mue, se distingue ou se confond, parfois se détraque ou se brise, quand une messagerie ou un micro vient filtrer leur parole, les enregistrer ou les effacer. J’ai voulu intercepter une fréquence, capter un souffle, tenir une note tout au long d’un livre qui fait la part belle à une tribu de femmes — des femmes de tout âge, solitaires, rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. Elles occupent tout l’espace. Surtout, j’ai eu envie d’aller chercher ma voix parmi les leurs, de la faire entendre au plus juste, de trouver un “je”, au plus proche. »
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La nouvelle principale : Mustang .
La narratrice, française, rejoint son compagnon Sam, installé dans un coin du Colorado, dans la cité universitaire de Golden. Ils ont vécu un drame qui les a poussés à ce changement. Elle est venue avec leur fils Kid qui lui, s'adapte très vite à sa nouvelle vie. Elle, dépaysée, résiste à cette nouvelle vie. Sam s'est déjà bien intégré dans la vie américaine, témoin sa voix dont le timbre a déjà changé. Comment va-t-elle parvenir à combler le vide de ses journées, à dépasser la mélancolie qu'a fait naître son expatriation? Sam lui offre un jour une Mustang, la voiture mythique de l'Amérique, la voiture de Steve McQueen dans Bullitt...
Nevermore :
Les deux soeurs Sylvia et Inge Klang passent leur vie à la recherche de voix qu'elles enregistrent et classent à leur façon. La narratrice entre dans le studio pour enregistrer "Le Corbeau" d'Edgar Poe, traduit par Baudelaire. Mais tout n'est pas aussi facile que prévu...
Un oiseau léger :
La mère de Lise est morte depuis cinq ans. Mais sa voix fait irruption chaque jour dans le monde des vivants : c'est elle qui avait enregistré le message du répondeur téléphonique : "Bonjour. Vous êtes chez nous, mais nous n'y sommes pas. Laissez-nous un message..."
Le père de Lise n'a jamais voulu l'effacer. Mais Lise ne peut plus supporter d'entendre la voix de la disparue ...
Ruisseau et limaille de fer :
La narratrice retrouve son amie Zoé qu'elle ne voit que par intermittence. Elle se rend compte que la voix de Zoé a changé, est devenue plus grave, se rapprochant des voix masculines. Et Zoé d'expliquer qu'elle suit des cours avec un coach pour abandonner sa voix acidulée, celle qu'ont les femmes, pour se rapprocher de celle des hommes, plus grave, plus profonde, plus posée, signe de compétence et d'autorité. Est-ce là une bonne nouvelle ? se demande la narratrice...
Le même lien se retrouve dans les autres nouvelles du recueil : celui de la thématique de la voix et aussi la reprise du titre "Canoës" que l'on trouve dans chaque nouvelle : Bivouac - After - Ontario - Ariane espace.
(Présentation : Anne-Marie Smith)