Le livre commence ainsi : Minuit moins vingt : ...J'ai dû me cacher pour écrire. J'avais vingt ans à peine que déjà je tombai sous l'emprise – l'empire - d'un homme à peine plus vieux que moi qui voulait décider de ma vie et s'y prit très mal.
Nous croyons connaître la vie sulfureuse et le destin tragique de Zelda Fitzgerald qui inspira nombre de biographies.
Alabama song est bien autre chose.
Ceci est un roman, nous prévient l'auteur. Zelda Fitzgerald a pourtant bien existé. Les éléments de sa biographie sont magnifiquement servis et « fictionnés » par l'écriture brillante et sensuelle de Gilles Leroy qui fait le choix d'écrire à la première personne une superbe histoire romanesque et si moderne.
Nous entrons avec lui dans la peau de Zelda Sayre, jeune aristocrate de Montgomery (Alabama), fille de juge, petite fille de sénateur et de gouverneur, issue de la bonne société puritaine et austère. Sa mère lui apprend les bonnes manières. Son avenir est tout tracé. Elle épousera un homme de loi et assistera aux soirées dansantes du Country Club.
C'est sans compter avec la nature ambitieuse, intrépide et rebelle de cette jeune et jolie personne qui aime le football, grimpe aux arbres, cavale avec les garçons mais, très coquette, adore aussi le théâtre, la danse et le flirt.
N'est-elle pas la Belle de Montgomery ? Plus tard, on la traitera de « putain » de Montgomery.
En 1918, à 18 ans, elle rencontre au bal le lieutenant Fitzgerald, vingt ans et beaucoup de talent. Autant il me trouble, autant il m'irrite...Du jour où je l'ai vu, je n'ai plus cessé d'attendre...
Bientôt démobilisé, Scott s 'en retournera dans le Nord. Elle l'attendra. Viendront plus tard, une bague de fiançailles et une demande en mariage. Mais, lui écrit-il, je ne reprendrai le train pour Montgomery que le jour où je serai publié...
Août 1919, une nouvelle de Fitzgerald est enfin publiée.
Zelda lui écrit : M'épouserez-vous ? Le voulez-vous sincèrement ? (Elle a trois autres fiancés !) Je veux partir, fuir cet éden abominé...Avec toi, je n'ai aucune peur. Je sais que nous accomplirons de grandes choses.
Le mariage a lieu, ses parents n'y assistent pas. Sa mère l'avait mise en garde : Quelle sorte d'existence attends-tu d'un buveur ! Un noceur ! Un dilettante !
Paillettes, soirées mondaines, hôtels de luxe, alcool. Ce couple mythique est en haut de l'affiche, adulé. Ce qui nous a rapprochés ? L'ambition, la danse, l'alcool... ce désir bleu de briller. Scott disant lui-même : la seule hygiène de vie qui vaille, c'est l'excès, l'extrême.(page 159)
A partir des années trente, les fêlures de leur caractère et les failles de leur couple fragiliseront la santé mentale de Zelda au point qu'elle séjournera à plusieurs reprises en hôpital ou maison de santé. Lors de récits, de confidences à ses médecins, Zelda se penche sur son passé : On était si semblables lui et moi...deux danseuses mondaines,deux gosses de vieux, deux enfants gâtés, intenables et lui comme moi, médiocres à l'école... deux créatures insatiables, condamnées à être déçues (page 51)...A nous voir décatis aujourd'hui et tombés dans l'oubli vous ne pouvez imaginer comme nous étions célèbres, lui l'Idole et moi son Idéale...On nous payait des fortunes pour des publicités où notre effort consistait à arriver à l'heure, dessoûlés, souriants et propres... Les gazettes disaient : Les années vingt, c'est eux !
L'auteur réinvente et nous fait ainsi partager la vie de ces deux êtres exceptionnels : leur ascension dans les années vingt « les Années Folles » et leur descente aux enfers par la suite. En donnant des dates-repères, en indiquant les lieux,Gilles Leroy, tout en nous égarant (on se passionne pour ce va et vient dans le temps et l'espace où les héros brûlent leur vie sans jamais se quitter) nous procure un grand plaisir de lecture.
Avec eux, nous irons à Paris puis sur la Côte d'Azur, nous vivrons une passion française de Zelda, puis retour aux Etats Unis et jusqu'en Alabama.Ce qui s'appelle retourner à ses racines. Ou plus inquiétant : retomber en enfance.
Zelda, meurtrie par la conduite de Scott qui pille impunément ce qu'elle écrit et le publie sous son seul nom, traversera de grands moments de solitude, de grande dépression. Lors d'un séjour en maison de santé, elle réussira à écrire en cachant son manuscrit, le seul roman qui fut publié sous son propre nom. Ce qui provoqua une grosse dispute. Deux ans que je me tais. Que je cache mes cahiers. L'usurpateur se sent usurpé (page 148).
Ecrire je savais, je savais avant lui... et j'ai alimenté tous ses chefs-d'oeuvre, non pas comme muse, non pas comme matière, mais comme nègre involontaire d'un écrivain qui estimait que le contrat de mariage incluait le plagiat de la femme par l'époux...
Ils disent, Scott et les toubibs qu'écrire me nuit.La danse est nocive pour mon corps, l'écriture dangereuse pour ma santé mentale. Peindre, ça va ; peindre, j'ai le droit. (page 155)
Après la mort de Scott qui la rend inconsolable, Gilles Leroy lui fait tenir ces propos en forme de bilan : On dit que ma folie nous a séparés. Je sais que c'est juste l'inverse : notre folie nous unissait . C'est la lucidité qui sépare...Cette folie à deux, ce n'était pas l'amour.
Plus loin...Et si je m'étais trompée de vie ? Si mon orgueil idiot avait causé ma perte ? La question me hante...(pages 190, 192 et 198)
Le dernier chapitre intitulé Minuit Pile indique mars 2007 à Montgomery.
Sublimes pages relatant ce qu'éprouve Gilles Leroy sur les lieux de vie de Zelda mais pas seulement.
Relire sans attendre Minuit moins vingt ! au début de l'ouvrage.
(Présentation : Josette Reydet)