Maïssa Bey avait déjà publié un recueil de nouvelles en 1998, " Nouvelles d'Algérie ", alors que le pays était en pleine guerre civile. Dans ce recueil, les héroïnes étaient des femmes algériennes victimes de la barbarie et du poids des traditions et ce livre était déjà un combat, celui de tous ceux qui se dressaient contre l'intolérance et la terreur.
Quatre ans après, Maïssa Bey publie un nouveau recueil de nouvelles. Et l'on y retrouve les thèmes qui lui sont chers, liés à l'histoire et à la situation actuelle de son pays. Elle n'hésite pas à revenir vers les années de plomb, en nous racontant le calvaire vécu par une jeune Algérienne violée, torturée, dont toute la famille a été décimée et qui en plus, éprouve un sentiment de culpabilité quand elle découvre qu'elle est enceinte : " Si mon père et mes frères étaient encore en vie, ils m'auraient tuée. Pour ne pas avoir à affronter le déshonneur… J'ai déshonoré ma famille ".
Comment oublier ces années de terreur quand des Algériens massacraient d'autres Algériens ? Comment oublier aussi ces années plus lointaines, celles de la guerre d'indépendance, évoquées à travers les lignes d'un journal trouvé au fond d'un tiroir et rappelées surtout à travers le témoignage d'une petite fille, quand la guerre a fait irruption un matin dans sa maison et que son père a été emmené à jamais, son père instituteur, comme l'était le père de Maïssa, lui aussi mort sous la torture.
Les autres nouvelles sont essentiellement des portraits de femmes algériennes qui aiment, souffrent et luttent pour leurs droits, qui subissent le poids de la tradition et la domination masculine, mais qui aussi savent trouver des espaces de liberté et des solutions pour fissurer le mur de cette domination masculine :
C'est cette mère, femme délaissée, " corps jamais désiré seulement pris ", qui n'a connu que sept jours de gloire dans sa vie, les sept fois où elle a donné naissance à un garçon, et qui avant de mourir, est envahie d'une intense jubilation : elle va connaître à nouveau un jour de gloire parce que , quand une personne meurt, tout un cérémonial est mis en place, ce sont les convenances qui l'exigent et sa famille ne pourra se dérober.
C'est cette épouse qui fait taire sa révolte quand son mari lui impose une autre femme à la maison : elle refuse le statut de victime et triomphe de la goujaterie de son mari en acceptant dans sa maison la nouvelle venue même si elle n'a guère le choix : la répudiation est la pire des choses pour une femme, surtout quand elle a un enfant, et qui plus est, une fille.
C'est la narratrice de cette nouvelle nommée " Nonpourquoiparceque ", où Maïssa qui n'a pas oublié qu'elle fut professeur de français, nous fait un cours de grammaire sur l'emploi du " parce que ", ce " parce que - Point - Silence " auquel se cogne la jeune narratrice, inévitable réponse à toutes ses demandes, questions sans réponse qui a fait d'elle une spécialiste du mensonge et de la dissimulation, pour arriver à vivre normalement.
La femme algérienne qui semble plier sous le joug masculin, on la trouve déjà dans la première nouvelle qui donne son nom au livre . Histoire d'un couple : une femme apparemment soumise, docile, domptée par un mari dominateur, semblable à tous les hommes " bardés de certitudes séculaires, pénétrés de leur force, de leur vérité. Puissance d'homme. Jamais remise en cause ". Mais cette domination n'est-elle pas un leurre ? Comment parvient-elle à s'échapper, à trouver sa liberté ?
(Présentation : Anne-Marie Smith)