"Je cherchais un endroit tranquille où mourir. Quelqu'un me conseilla Brooklyn et, dès le lendemain matin, je m'y rendis de Westchester afin de reconnaître le terrain. Il y avait cinquante-six ans que je n'étais pas revenu là et je ne me souvenais de rien... J'ignorais tout de mes voisins et ça m'était bien égal..."
Nathan, le narrateur, a soixante ans et quand il s'installe à Brooklyn, la seule chose à laquelle il aspire, c'est de trouver là "une fin silencieuse à (sa) vie triste et ridicule". Il vient de traverser plusieurs épreuves qui expliquent ces sentiments désabusés : un divorce, un cancer du poumon en rémission, la perte de son travail, une vie solitaire après trente années passées dans une compagnie d'assurances. Ajouté à cela, des relations exécrables avec sa fille qui n'hésite pas à lui adresser de nombreux reproches, dont celui d'avoir fait de la vie de sa mère "un enfer quotidien". Nathan est donc maintenant un homme sans espoir, qui n'a plus rien à réaliser.
Mais contre toute attente, il va se laisser séduire jour après jour par Brooklyn, au cours de ses longues promenades dans la ville et peu à peu il va reprendre goût à la vie et sortir de son "indolence routinière et soporifique". Il crée des liens avec des gens de son quartier, fréquente les librairies et les restaurants, tombe sous le charme des filles et le comble pour quelqu'un qui ne pensait plus avoir que quelques mois à vivre, se met à écrire un livre. Un livre fait d'une série d'anecdotes et d'aventures, souvenirs de sa vie passée et de celle de gens rencontrés.
Et voilà que sa vie va complètement changer le jour où il rencontre dans une bouquinerie de Brooklyn son neveu Tom Wood qu'il avait perdu de vue depuis longtemps. Il avait avec lui des relations privilégiées, tissées par leur amour commun pour la littérature. Nathan avait toujours aimé les livres, bien qu'ayant interrompu ses études en littérature. Mais il avait communiqué cet amour à Tom et il pensait que celui-ci avait poursuivi de brillantes études littéraires que lui-même n'avait pu mener à bien. Il le croyait professeur dans une université prestigieuse comme Berkeley ou Columbia, écrivain au talent prometteur; aussi quelle ne fut pas sa surprise quand il le reconnut occupant un emploi subalterne dans la bouquinerie de son quartier : "L'étincelle avait disparu du regard de mon neveu et toute son apparence suggérait la défaite".
Ces retrouvailles vont leur permettre de rompre la monotonie de leur solitude. Ils vont alors ensemble retrouver des envies, partir vers de nouvelles conquêtes, s'attarder sur des rêves qu'ils vont enfin réaliser. Et puis vont s'ajouter d'autres personnages qu'ils croisent, des personnages qui bien souvent, comme le héros, réinventent leur vie à des moments où leur vie bascule pour diverses raisons :la dépression, la séparation, l'entrée dans une secte, la vieillesse, la mort... C'est l'occasion pour Paul Auster de dresser le tableau d'une Amérique qui fait peur : l'Amérique de Bush, celle des religieux extrémistes, des armes à feu, du mouvement anti-avortement, l'Amérique du fric, la course au profit. Mais tout cela les personnages vont le rejeter et Nathan le premier : lui qui au début du roman attendait la mort, va retrouver des raisons d'espérer et d'échapper à son destin. Il va retrouver des raisons d'agir en apportant autour de lui aide et amour à des personnes dont la vie a été brisée, largués par la société. Et c'est une vraie famille qui va se reconstituer autour de lui et des liens très forts vont se tisser. En plus un des personnages va faire découvrir aux autres un rêve fou, "l'hôtel Existence", le rêve fou de nous abstraire des soucis et des peines de ce monde de misère et de créer notre monde à nous.
Alors un livre de Paul Auster sur le bonheur ? Cette espérance peut-elle durer en Amérique ?
(Présentation : Anne-Marie Smith)