2005 : L'ouragan Katrina arrive sur la Nouvelle-Orléans et ordre est donné de quitter les maisons. Quitter sa maison pour aller où ? Zola Jackson, une vieille institutrice noire, refuse de quitter cette ville : On y est né, on y a souffert à peu près tout ce qu'une créature du Seigneur peut y encaisser, et on y reste. Ce n'est pas le goût du malheur, non, et pas faute d'imagination. C'est juste qu'on a personne d'autre où aller. Alors elle organise sa survie : elle colmate, calfeutre, protège et rassemble tout ce qu'elle peut. Elle remplit d'eau la baignoire, vide le congélateur espérant en faire cuire les aliments, prend un dernier pack de bières et monte dans sa chambre, en compagnie de sa chienne Lady.
Sur la ville d'ordinaire si bruyante, le silence est écrasant. Mais à deux heures du matin, l'ouragan se déchaine ; vitres brisées, cabines téléphoniques arrachées, les toits en verre explosés, voitures emportées ...Et ce que l'on craint arrive : les digues cèdent et les rues deviennent torrents qui emportent tout sur leurs passages. Les hélicoptères vombrissent dans le ciel, mais ils volent vers le centre-ville, là où sont les beaux quartiers ...
Confinée dans sa chambre, Zola se laisse envahir par ses souvenirs et se rappelle ceux qu'elle a aimés, aujourd'hui disparus : son mari Aaron, son fils Caryl, cet enfant métis que ses camarades insultaient parce qu'il avait les yeux verts, un enfant très doué dont elle était si fière même si elle avait un peu de mal à accepter son homosexualité. Elle se rappelle aussi les gens de son quartier, les gamins qu'elle accueillait chez elle pour les aider et leur faire griller du pop-corn pour remplir leur estomac bien souvent vide.
Au gré des souvenirs de Zola que les vapeurs d'alcool rendent parfois incertains, Gilles Leroy veut avant tout faire le portrait d'une héroïne digne des plus grandes, une femme libre que rien ne semble pouvoir terrasser, qui fait fi de tous les préjugés, capable de mettre sa vie en danger pour sauver sa chienne, une mère qui porte à son fils un amour infini. Mais à travers Zola, Gilles Leroy brosse un portrait de l'Amérique dont il nous rappelle le scandale que fut la gestion de l'ouragan Katrina, la priorité donnée au sauvetage des gens des beaux quartiers, le sentiment du peuple noir d'être une fois de plus les oubliés du rêve américain. Ajouté à cela, le rôle de la presse à sensation capable d'envoyer des dizaines d'hélicoptères non pas pour sauver les derniers rescapés mais pour faire des images de leur mort.
(Présentation : Anne-Marie Smith)