Outre la sélection Livres nomades 2022-23 "Les livres nomades passent à l'Est ",
nous avons aussi aimé
d'autres romans et récits
que nous avons découverts au cours de nos lectures sur ce thème.
************************
Le concert posthume de Jimi Hendrix - Andreï Kourkov - Ed. Liana Lévi, 2016
Ukraine, Lviv, la nuit.
Taras, "vibrothérapeute", secoue dans sa vieille voiture sur les pavés des rues de la vieille ville, de riches polonais encombrés de calculs rénaux.
Séduit par Darka, l’employée du guichet de change, il mettra tout en œuvre pour la séduire. Entouré de sa fidèle amie Oksana, et de son encombrant voisin Jerzy.
Alik, un ancien hippie, va retrouver lors d’une cérémonie clandestine autour de la tombe de la main de Jimi Hendrix, Riabtsev, guébiste (membre du KGB), ancien capitaine à la retraite.
Personnages haut en couleur, ils vont tous être victimes d’événements curieux et désagréables.
Odeur de mer, goût de sel, attaques de mouettes, et malaises cardiaques. Quelle en est la cause ?
C’est une histoire jubilatoire, imbibée de vodka et sonorisée par Jimi Hendrix. Complètement loufoque, elle n’en questionne pas moins gravement sur ce qui lie ces différents personnages, et comment ils vont réussir par leur solidarité, leur amitié, leur différence, à résoudre cette énigme.
Ecrit en 2012 par Kourkov, son roman se situe dans cette Ukraine indépendante où se côtoient encore tous ceux qui ont vécu le joug soviétique dont il reste des traces, et cette nouvelle jeunesse qui ne demande qu’à vivre intégrée dans ce continent européen.
Roman complètement loufoque, « Le concert posthume de Jimi Hendrix » est très drôle. Très bien écrit, on peut dire que ce roman est vraiment typique de la plume de Kourkov. C’est avec ce décalage, cette ironie qu’il sait nous parler de thèmes graves.
A crier dans les ruines - Koszelyk Alexandra - Points, 2020 - (Ukraine)
Roman d’amour, sur l’enfance, l’adolescence.
La centrale de Thernobyl vient d'exploser. Deux adolescents qui s'aiment et vont vivre l'évènement de manière différente.
Le père de Lena, ingénieur, comprend très vite la gravité de l'accident. Il emmène très vite sa famille en France.
Ivan et sa famille vont être évacués de Pripiat
Intéressant par ce qu’il raconte de la façon dont les habitants de Pripiat, proche de la centrale de Tchernobyl ont vécu l’explosion de la centrale en 1986. Et comment ils ont été déplacés sans que leur avis leur soit demandé. Lena reviendra à Pripiat 20 ans après la catastrophe, sans avoir jamais eu de réponse aux lettres qu'elle écrit à Ivan.
Déchirement des familles, abandon de la terre, exil plus ou moins choisi. Effacement des racines et de la langue. Dureté de l'exil.
Roman facile à lire, bien adapté aux adolescents.
Les cosmonautes ne font que passer -
Elitza Gueorguieva. 2016 - Premier roman.
L’autrice née en Bulgarie vit en France depuis plus de 15 ans. Son premier roman est écrit en français.
L’héroïne, une petite fille de 7 ans nous raconte sa vie dans la Bulgarie des années 1980 qui vit alors un régime communiste déclinant.
On ne connait pas son prénom, seul le « Tu » la désigne tout au long du récit.
Issue d’un milieu plutôt intellectuel, elle nous fait part de ses observations du monde qui l’entoure, de son incompréhension de certaines attitudes des grandes personnes et surtout de son rêve de devenir cosmonaute. Grande fan de Youri Gagarine elle sait tout sur son héros, elle prépare des exposés et des spectacles dans lesquels elle s’identifie à lui. Tout son entourage, son cousin, sa meilleure détestable amie d’école lui dise l’impossibilité et l’absurdité de son rêve. Elle s’y accroche avec naïveté, fantaisie et fait preuve d’un humour décalé face aux moqueries de ses camarades.
Mais l’époque change, la chute du mur met fin à son rêve. Youri Gagarine n’est plus le grand héros de l’ère communiste, la petite fille devenue adolescente en 1991 voit son monde et ses valeurs s’écrouler.
Ce sera Kurt Gobain, chanteur du groupe Nirvana, qui occupera alors son esprit, les posters de Gagarine laisseront la place aux posters du groupe de rock.
La jeune adolescente est bousculée par les grands bouleversements de l’histoire, la perte de ses valeurs. Elle découvre soudainement la liberté, les bandes de copains punks, les cigarettes, et rencontre quelques désillusions sur le monde moderne.
L’autrice adopte un ton décalé pour nous raconter comment la politique pénètre la vie des individus, imprègne nos rêves, détermine les valeurs d’une société.
Un livre tout public, recommandé pour des adolescents.
Cette nuit je l'ai vue -
Drago Jancar - Phébus Editions, 2014 -
Meilleur roman étranger en 2014 - traduit du Slovène par Andrée Lück Gaye
Deago Jancar est né en 1948 en Slovénie qui est alors englobée dans la République fédérative socialiste de Yougoslavie. Ecrivain, essayiste, journaliste, il a connu les prisons slovènes pour des articles dénonçant les exactions de Tito.
Cette nuit je l’ai vue est un roman choral centré sur le personnage de Véronika Zarnik, une femme richement mariée à Léo. C’est un couple non conformiste qui vit dans un grand manoir.
L’histoire se situe en 1942 dans la province yougoslave de Slovénie prise en étau entre les nazis allemands et les partisans communistes pendant la seconde guerre mondiale.
Véronika est une femme libre, belle, envoutante, excentrique, elle conduit des motos et monte à cheval…
Cinq personnages racontent rétrospectivement leurs liens avec Véronika et sa disparition soudaine et mystérieuse.
Chacun connait une part de vérité de Véronika et sa personnalité se révèle de plus en plus à chaque voix qui s’ajoute aux autres. Secrète, indépendante, insaisissable, elle est emportée par l’histoire de son pays qui la dépasse, refusant de choisir son camp entre le nazisme et le communisme.
Stevo, jeune officier brillant lui donnait des cours d’équitation et s’est perdu d’amour pour elle.
Josipina, sa mère, se remémore cette nuit de janvier 1944 où sa fille et son gendre ont disparu.
Horst, un médecin occupant allemand partage avec Véronika sa passion pour la musique.
Jozi, gouvernante du manoir se souvient aussi de la jeune femme qu’elle a vu grandir.
Jeranek, ouvrier au manoir, nourrit pour Véronika un mélange de haine et de passion amoureuse.
Un magnifique portrait de femme dans un style à la fois réaliste, tendu et poétique.
Un texte qui démontre ce que la guerre peut faire et faire faire aux hommes.
Des voix dans le vent de Grozdana Olujic traduit du Serbo-Croate par Alain Cappon – Ed. Gaïa
Au cours d’une nuit dans un hôtel new-yorkais, le docteur Danilo Aracki se souvient. Il n’est pas seul dans la chambre, il voit et entend ses ancêtres et les défunts qui ont marqué sa vie, ces ombres fantomatiques le hantent et le bousculent dans un tourbillon incessant pour que surtout rien ne soit oublié. Entre rêve et réalité, entre tragédie et légende, se dessine l’histoire dramatique et complexe de sa famille et celle des Balkans au cours du XXe siècle. On se laisse emporter, divaguer, subjuguer par ces voix qui ont une grande force d’évocation. Oeuvre complexe et très littéraire, « des voix dans le vent », qui a remporté le prestigieux prix NIN (équivalent du Goncourt), nous permet de découvrir Grozdana Olujic, grande dame de la littérature serbo croate.
L’aviateur de Evgueni Vodolazkine traduit du russe par Joëlle Dublanchet – Ed des Syrtes
Né en 1900, Innokenti Platonov se réveille amnésique dans un corps de jeune homme en 1999. Geiger, le médecin qui l’a ramené à la vie 60 ans plus tard, lui demande de coucher sur le papier tout ce dont il pourra se rappeler.
La cryogénisation est le seule référence à la science fiction. Le fait que des prisonniers aient été utilisés pour des expériences médicales est malheureusement avéré.
Pour le reste, on voyage dans les souvenirs d’un homme qui a vécu les premières années du XXesiècle. Il se remémore l’enfance et ses bonheurs, les études, l’amour, le désarroi après la révolution, la vie dans les appartements communautaires, les arrestations arbitraires et, enfin, le camp de travail des îles Solovki où est installé le laboratoire de recherche de cryogénisation à laquelle Platonov, épuisé par les horreurs du camp, accepte de participer persuadé qu’il ne se réveillera pas.
Livre empreint de philosophie sur la vie, la mort, la mémoire, critique distanciée de la société et de ses dérives, c’est aussi le cadre d’une belle histoire d’amour qui défie le temps.
L’eau rouge de Jurica Pavicic traduit du croate par Olivier Lannuzel - Points, 2022
Croatie, 1989. Dans un bourg de la côte dalmate, Silva, 17 ans, disparaît durant la fête des pêcheurs. L'enquête fait émerger un portrait complexe de cette jeune fille attirante. On apprendra qu’elle prenait et revendait de la drogue. Quand le régime de Tito s'effondre, l'inspecteur est poussé à la démission et l'affaire classée. La famille de Silva éclate, leur vie en sera à jamais bouleversée, le père reste en dehors de la quête désespérée du frère jumeau Mate et de la mère qui pendant 20 ans, vont poursuivre obstinément les recherches, gardant l’espoir de la retrouver vivante. La description philosophique de la disparition est très précise, très fouillée. Qu’implique pour les proches le fait de ne pas savoir ce qui est arrivé, pas de corps, pas d’explication, rien à quoi se raccrocher.
À travers ce drame intime et la quête de la vérité, c’est une étude psychologique et sociologique que L’Eau rouge explore à travers les bouleversements de la société croate : le communisme sous Tito et sa chute, la guerre de 1991 à 1995, l’effondrement de l’économie et de l’industrie, l’explosion de l’industrie touristique et de la spéculation foncière, les investissements étrangers, la corruption à tous les niveaux de la société : état, police, justice… Un livre passionnant qui justifie pleinement tous les prix reçus.
Prix Mystère de la critique étranger 2022
Prix Le Point du polar européen 2021
Grand Prix de Littérature Policière catégorie étranger 2021
Prix Transfuge du meilleur polar étranger 2021
Prix Ksaver Šandor Gjalski du meilleur roman croate 2018
Prix Fric de la meilleure fiction 2019