"Me voilà face à cette question vieille comme le monde : Sommes-nous comptables des crimes de nos pères, des crimes de nos frères et de nos enfants ? Le drame est que nous sommes sur une ligne continue, on ne peut en sortir sans la rompre et disparaître"
Deux frères, nés en Algérie dans un douar du bout du monde d'une mère algérienne et d'un père allemand. A l'âge de sept et huit ans, leurs parents les ont envoyés en France, chez un vieil oncle, pensant leur donner plus de chance de réussir qu'en Algérie. Rachel, l'aîné, est devenu ingénieur. "Il était cadre dans une grosse boîte américaine, il avait sa nana, son pavillon, sa bagnole, sa carte de crédit, ses heures étaient minutées, moi je ramais H24 avec les sinistrés de la cité. Elle est classée ZUS-1, zone urbaine sensible de première catégorie".
Et pourtant on retrouve un jour Rachel, mort dans son garage. Il s'est suicidé en inhalant les gaz d'échappement de sa voiture. Avant de mourir, il a souhaité que son journal soit remis à son frère Malrich. Quand celui-ci va lire et découvrir la vérité, sa vie bascule : "J'étais glacé de l'intérieur. Je n'avais qu'une envie : mourir. J'avais honte de vivre". Et lui-même va se mettre à écrire un journal. Le lecteur va donc découvrir un récit à deux voix qui montre que les deux frères vont réagir différemment à la cruelle vérité.
Deux ans auparavant, leurs parents étaient morts dans leur village algérien, massacrés par le GIA. Rachel avait alors trouvé dans leur maison, des documents qui montraient que leur père était un ancien officier nazi, qui avait activement participé à la Shoah, et qui, à la fin de la guerre, avait fui l'Allemagne pour échapper au procès de Nurembreg. Et ce passé, il ne l'avait jamais révélé à ses fils.
Rachel avait alors entrepris des recherches en suivant à travers l'Europe les traces de son père : "J'ai tellement peur de rencontrer mon père là où il ne faut pas, où pas un homme ne peut se tenir et rester un homme. Ma propre humanité était en jeu". Au fur et à mesure de ses découvertes, Rachel va prendre le chemin du sacrifice, se sentant coupable à la place de son père qui s'était tu et ne lui avait rien révélé. "Le suicide était alors l'issue fatale, la seule façon pour lui de concilier l'inconciliable".
Malrich lui, refuse de payer pour les crimes de son père, mais chez lui c'est la révolte qui prend le pas sur le désespoir. Ce qui l'obsède et contre quoi il voudrait lutter, c'est l'islamisme qui règne en maître en Algérie et aussi dans certaines banlieues françaises livrées au fanatisme des imams. "Nous sommes comme les déportés d'antan, pris dans la machination, englués dans la peur, fascinés par le Mal, nous attendons avec le secret espoir que la docilité nous sauvera".
Boualem Sansal n'hésite pas à faire un parallèle entre nazisme et islamisme : "Quand je vois ce que les Islamistes font chez nous et ailleurs, je me dis qu'ils dépasseront les nazis si un jour ils ont le pouvoir". Un message clair mais bien risqué d'un écrivain algérien qui dénonce l'intégrisme islamiste.
(Présentation : Anne-Marie Smith)