Un court prologue : Une jeune fille, Paula, descend les escaliers en coup de vent pour se jeter dans la nuit glacée parisienne (p.11). Elle retrouve dans un café Kate et Jonas, deux amis qui ont suivi en même temps qu’elle, une formation sur la technique du trompe-l’œil à l’Institut de peinture de Bruxelles, une prestigieuse école qui existe vraiment, qui a fait d’eux des peintres de décors (cinéma, théâtre, bâtiments, halls d’entrée de bâtiments célèbres) Chacun va dire aux deux autres le travail qu’il vient de réaliser :Jonas, un paradis – Kate, un portor pour l'appartement de riches Saoudiens – Paula, quant à elle, elle revient juste de Moscou où elle a peint le salon d’Anna Karénine. On sent des liens intenses entre lestrois et en particulier entre Paula et Jonas qui promet à Paula de l’appeler le lendemain. Un appel qui ne sera réalisé que dans la 3e partie du roman, alors que les deux premières parties sont faites d’un retour en arrière.
1ere partie : on suit Paula à l’Institut de peinture où on va faire avec elle l’apprentissage du trompe l’œil, de l'amitié et de la vie, celle d'une jeune fille qui a quitté l'appartement familial.
2e partie : On suit Paula dans les débuts de sa vie professionnelle pendant 5 ans. Elle participe à de nombreux chantiers dont un à Cinecitta, le quartier des studios de cinéma à Rome où se créent de nombreux d’écors de films.
3e partie : Paula va participer à une réalisation exceptionnelle : celle du fac-simile de la Grotte de Lascaux
Maylis de Kerangal ne s'est pas contentée de parler du trompe l’œil en tant que technique de peinture, une technique qu'elle décrit longuement. Elle en a fait un outil pour « interroger la nature de l’illusion et l’essence de la peinture ».
En fait ce livre est une plongée au cœur même de ce qu’est l’art, l’art et en particulier la littérature.
Quand la dame au col roulé noir dit à ses élèves « pensez à peindre avec vos glaciers intérieurs, avec vos propres volcans, avec vos sous-bois et vos déserts, vos villas à l’abandon, avec vos hauts, vos très hauts plateaux » on est loin d’un simple exercice technique. C’est toute son écriture que Maylis de Kerangal explore, toute l’essence de son écriture. En suivant la formation de cette jeune faussaire, c'est son propre travail de romancière qu'elle questionne.
Un extrait :
"Paula s'avance lentement vers les plaques de marbre, pose sa paume à plat sur La paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c'est le grain de la peinture qu'elle éprouve. Elle s'approche tout près, regarde : c'est bien une image. Etonnée, elle se tourne vers les boiseries et recommence, recule puis avance, touche, comme si elle jouait à faire disparaître puis à faire revenir l'illusion initiale, progresse le long du mur, de plus en plus troublée tandis qu'elle passe les colonnes de pierre, les arches sculptées, les chapiteaux et les moulures, les stucs, atteint la fenêtre, prête à se pencher au-dehors, certaine qu'un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main, et partout son tâtonnement lui renvoie de la peinture.
Une fois parvenue devant la mésange arrêtée sur sa branche, elle s'immobilise, allonge le bras dans l'aube rose, glisse ses doigts entre les plumes de l'oiseau, et tend l'oreille dans le feuillage."
(Présentation : Anne-Marie Smith)