Jonathan Miles est né en 1971. Il quitte Phoenix sa ville natale à 17 ans et vit de petits boulots en s’adonnant à sa vocation littéraire précoce. A New York il devient journaliste et collabore à différents journaux et revues en temps que critique littéraire. En 2012 « Dear American Air lines» le fait connaitre du grand public. Il vit actuellement dans une ferme du New Jersey .
«Tu ne désireras pas» est son deuxième roman ( Titre original : «Want not».
C ‘est un roman virtuose qui nous accroche par l’acuité du regard de l’auteur sur la société américaine ultra contemporaine. Le parti pris affirmé est de sonder sur un ton satirique une civilisation consumériste, de croquer des humains aux comportements essentiellement matérialistes, qui aspirent pourtant, confusément, à autre chose, qui veulent tout...«Tu ne désireras pas» éclaire les aspirations contradictoires de désir et de rejet, raconte avec un humour non dénué de mélancolie et de compassion, un monde absurde et néanmoins en quête de sens. Structurée en chapitres bien calibrés, la narration se concentre sur trois séries de personnages, leurs trajectoires, leurs choix (ou non choix) de vie, leur environnement.
Il y a Sara, une femme jeune et qui veut le rester, qui a toutes les armes de la séduction mais qui, malgré son standing de vie supérieur, est le plus souvent en proie à l’insatisfaction. Son mari a péri lors de l’attentat du 11 septembre à New-york, elle vit avec sa fille adolescente, Alexis, et son nouveau mari Dave. Normes de vie standard, argent et possession, désir et vénalité dictent leurs conduites.
En contrepoint, Talmage et Micah sont un jeune couple de squatteurs de Manhattan. Ils se revendiquent freegans ( libertaires et végans ) et récupèrent en fouillant dans les poubelles, le strict nécessaire pour vivre. Rejeter le système, laisser le minimum d’impact sur la planète, c’est là leur évangile : « Tu ne désireras pas... »
Enfin, Elwin Cross est un universitaire. En tant que linguiste il fait partie d’une mission gouvernementale dont l’objectif est de mettre au point un langage simple et efficace, qui résisterait au temps et qui permettrait d’alerter de lointaines générations futures sur la dangerosité d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires. Quinquagénaire et victime d’obésité, Elwin souffre de la solitude et de la conscience de son « obsolescence» après que sa femme l’a quitté. Il assiste à la fin de vie de son père atteint de la maladie d’Alzheimer . C’est un spectateur de l’évanescence des choses.
Le regard ironique sur les personnages est appuyé, mais malgré l’aspect satirique du roman, les personnages de «Tu ne désireras pas» ne sont pas des caricatures. Jonathan Miles fouille leur psyché, il excelle à saisir la profondeur et la complexité de leur monde intérieur. Ils se détachent avec netteté, ces personnages, sur le fond sonore et visuel de la mégalopole génératrice de déchets et de nuisances de toutes sortes. Les objets sont des protagonistes du récit. Dans cette société de la surabondance de choses qu’il faut ensuite remplacer, éliminer ou réintroduire dans le cycle de la surconsommation, les personnages ont des rapports ambivalents avec les objets. Ils sont essentiels et/ou superflus, indispensables et/ou encombrants, objets de désir et/ou de répulsion. On lit avec délectation des pages à l’humour corrosif sur la vogue des vide-greniers, de la tendance «vintage», de la «récup’» ou de la restauration de l’ancien.
Après le départ de sa femme Elwin entreprend de vider sa maison car il ne sait que faire de tout ce bric-à-brac. Le jardin de son voisin est «un potager métallique» tant y sont accumulés d’engins mécaniques de tous genres. Les objets sont aussi des témoins : c’est ce qu’il reste, des cartons stockés dans un garde meubles, pleins de photos, de souvenirs, les débris de vies passées. Les objets sont des fétiches comme le montre l’attachement disproportionné d’ Alexis, la fille de Sara, à sa poupée Barbie d’autrefois. Les marques sont notre « marque» : dis moi quelle est ta marque et je te dirai qui tu es ...«... des totems, des idoles, des talismans, des artefacts, ...» Que faire de tous ces objets ... comment s’en débarrasser... où les enfouir... que deviennent les alliances des divorcés ... que garder des affaires du père d’Elwin , de tous ses papiers lorsque celui-ci disparait ...
Les humains, comme les choses, sont périssables : morts ou oubliés, abandonnés, jetés ou ... recyclés comme Maura la femme d’Elwin qui a refait sa vie et s’est «remastérisée» après sa rencontre avec un nouveau partenaire, comme Sara aux seins refaits et plutôt encombrants , « ... c’est son mari Dave qui a voulu ça », périmés comme le père d’Elwin en maison de retraite ( « ... c’est une déchetteriehumaine » dit Elwin à sa soeur Jane).
Il n’y a rien de durable et à la fin il faut s’arranger avec ce qui reste de nos vies. Micah la glaneuse, la fouilleuse de poubelles , se dresse contre cette marchandisation de l’humanité, contre les excès en tous genres : alcool, sexe, drogues, surconsommation de médicaments...«Tu ne désireras pas» , fresque sociale du cycle de la consommation et de la déjection, est un récit porté par une écriture dynamique, une langue pleine de verve et d’énergie, un humour incisif, qui par son intelligence, nous réjouit et nous autorise à avoir un regard compatissant sur nos vies contemporaines parfois désorientées.
(Présentation : Tiziana Champey)