La narratrice, Jeanne Beaulieu, agent immobilier, 40 ans, part au Brésil à la recherche d’un indien du territoire Yanomami qu’elle a repéré dans un reportage télévisé sur l’Amazonie.
Avec ce presque rien elle prend un billet d’avion dans l’intention de retrouver cet homme tout en se questionnant sans cesse sur ses choix, « Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste… Reste, voyons, reste ! »
Un voyage qui commence d’une drôle de manière et nous conduit à la découverte de personnages étonnants, de lieux magiques ou tragiques et de situations a priori impossibles desquelles l’héroïne, sans en avoir une conscience éclairée, se tire avec brio. À Sao Polo Jeanne se procure, pour en savoir un peu plus, Tristes Tropiques de Levi Strauss, ouvrage de référence philosophico-ethnologique sur l’Amazonie. Or le livre est annoté et signé par deux personnages, l’un français Paul Martin de Châteauroux, l’autre, Claudia Ambrosio qui se trouve être une fille adoptée par la famille qui fait la loi à Manaus. De quoi nourrir l’imaginaire de Jeanne qu’elle nous fait partager tout au long de sa quête. On navigue sans cesse entre réalisme et imaginaire dans cette aventure constellée de rencontres improbables et hautes en couleur :
Big James et sa jambe amputée au Vietnam, le vieil homme qui comprend tout, Cuir Fendu ses chiens et leurs relations amicales sincères et ambigües, le rendez-vous avec le réalisateur du documentaire déclencheur du voyage, la découverte de mythes et légendes locales, l’émaillage de réflexions sur le bien-fondé de l’aventure, le dénouement…
Mais tout se tient et la lecture, malgré les travers de cette femme, ses doutes, ses envies, posés par les critères qu’un écrivain masculin lui attribue, reste passionnante tant au niveau de la sociologie avec la référence à Levi Strauss et le fleuve Amazone, aux enjeux politico-économiques du pays, qu’au niveau des relations entre les personnages, et de la fiction. Qui sommes-nous quand nous partons quelque part ? La quête de soi nous rattrape au bout du monde aussi bien que dans notre rue. Et si Jeanne en est consciente, sa personnalité nous est dévoilée par petite touches humoristiques ou dérisoires et non seulement elle n’y peut rien, mais ses histoires, ses rencontres la ramènent invariablement au cœur de ses paradoxes et de ses souffrances, et nous l’accompagnons bien volontiers.
Une écriture alerte et enjouée, quelques passages du journal de voyage de l’héroïne truculents « au début je suis toujours pleine d’espoir. Je ne sais pas où est le Nord, à peine que le Sud se trouve à l’opposé… Je viens d’un milieu tempéré… Je rêve d’une auto combustion de Mamie grillade ou d’une mithridatisation contre le poisson familial… je ne sais à quoi sert la moitié des options de mon couteau Suisse. »
On ne s’ennuie jamais même dans les quelques longueurs explicatives développant un point de vue moralisateur ou politique dans les modes du moment et un début un peu acrobatique - on ne sait pas bien où l’action nous conduit - mais l’histoire y gagne en perspective et c’est tant mieux. Bref, un roman très bien mené qui nous fait vivre une aventure originale, touchante, au cœur des préoccupations du monde arrêté en 2009.
Présentation : Annie Contin