Après nous avoir donné à lire des recueils de textes courts* issus des carnets que l'auteur tient depuis l'âge de quinze ans, voici que paraît une forme longue qui a l'aspect d'un roman mais qui ne porte pas le mot « roman » en couverture.
Premier roman d'un jeune sexagénaire peut-on lire dans la presse spécialisée !
L'histoire commence par une conversation littéraire du narrateur, Denis (alter ego de l'auteur) avec une vieille amie libraire, Elvire qui lui demande s'il a toujours l'intention de se lancer dans une oeuvre romanesque. C'est une sorte de défi que Denis promet de relever. D'autant qu'il est sur le point de partir en Toscane, invité dans une résidence d'écrivains chez la Comtessa Silvina, près de Florence.
Tôt ou tard, dans la vieillesse ou dans la fleur de l'âge, l'inaccompli nous fait signe et nous nous retournons à son appel, cherchant à comprendre d'où il vient....
Qu'espérai-je trouver en allant séjourner dans cette résidence ?...
Trouvera-t-il son inaccompli en Toscane ?
Cependant, submergeant mes élucubrations désordonnées, un souvenir lointain, nostalgique, une occasion manquée remonta avec une impitoyable précision à la surface de ma mémoire...
Denis nous raconte sa rencontre vingt ans plus tôt au cinéma Champollion,avec une étudiante en philosophie au charme foudroyant, Anna-Livia de père américain et de mère italienne : souvenir lointain, occasion manquée...
Puis vient au fil du livre, le récit des conversations littéraires et philosophiques avec ses pairs ainsi que les rencontres que Denis fera au cours de ce séjour où les écrivains travaillant peu et ripaillant beaucoup, chaperonnés par leur hôtesse, succomberont au charme des lieux et des gens : toute une société fermée, au mode de vie désuet et surprenant, se tenant volontairement à mille lieues du tumulte de la vie ordinaire. On est entre soi, on sait mille choses et on devise élégamment.
Une promenade hors du commun à laquelle il nous convie. Denis observe, engrange des réflexions, note dans ses carnets.
Réceptions chez des aristocrates qui tiennent à tout prix leur rang dans des palais délabrés, à l'image de cette société en déclin. Personnages pittoresques,excentriques, originaux tel Emilio qui, ne pouvant entretenir le château familial, vit dans un cabanon à l'entrée du domaine et partage son temps entre passion des rhododendrons, lectures philosophiques et jeux d'échecs. Nous sommes tous intimement neurasthéniques et nous ne cessons de faire les marioles pour donner le change.
Tel aussi Roberto qui écrit des textes pour les pupazzi, des marionnettes dont il tire les fils lors de spectacles et auxquelles il prête son regard sur la société actuelle et nous transmet par cette théâtralité légère et drôle en apparence toute la mélancolie, la morbidezza de l'âme italienne.
Tel encore le vieux libraire des bords de l'Arno qui passe ses journées à lire les auteurs anciens et qui, tout comme le narrateur, est à contre-courant de la mode du roman d'aujourd'hui. Sans oublier ce prêtre touriste, père Antonin qui avoue à Denis avoir perdu la foi mais qui continue à exercer son sacerdoce. Eux aussi referont le monde.
Le romanesque rebondira dans les cent dernières pages.
Rencontre fortuite d'Anna-Livia vingt ans après la séquence parisienne, au cours d'une déambulation touristique à Sienne.
Je croyais pouvoir enfin toucher du doigt mon inaccompli.
De belles pages sur Sienne, Florence et sa lumière,Venise et la nostalgie qu'elle engendre.
Une écriture très cinématographique, des références nombreuses au cinéma italien des années cinquante.Une fin onirique, à l'italienne.
La secrète mélancolie des marionnettes n'est pas un roman actuel, tel le roman à sensation, violent, compassionnel. Ici, peu de phrases courtes. On s'installe dans des atmosphères esthétisantes, entre gens de bonne compagnie, on se régale de ce vocabulaire parfois sophistiqué, de cette syntaxe irréprochable et pour tout dire de cette écriture désuète mais subtile. Un vrai dépaysement.
* Quelques livres récents du même auteur :