« Alors j'ai rencontré Pavel » et la vie de Bénia, le narrateur, va être transformée par cette rencontre. Ils boivent ensemble le thé que Pavel a fait chauffer au-dessus des flammes dans une boîte en fer blanc et partagent une cigarette que Bénia a sortie de sa poche.
C'est une histoire d'amitié, de solidarité, de fraternité même que Hubert Mingarelli nous raconte dans son dernier livre. Une histoire de fraternité entre des soldats de l'armée rouge qui, en 1919, est en perdition du côté de la Galicie. Bénia et Pavel ont décidé de rester ensemble. Puis vont se joindre à eux Kyabine, un colosse un peu benêt mais tellement attachant, et Sifra, un jeune tireur qui possède des bottes de cavalerie.
A quatre, l'épreuve de l'hiver sera moins terrible. Un hiver qu 'il a fallu passer dans la forêt, dans « le froid et le vent furieux », un long hiver auquel beaucoup de soldats n'nt pas survécu :« nous avions mangé nos mules et nos chevaux, et un grand nombre d'entre nous étaient morts dans la forêt ». Mingarelli ne nous en dira pas plus sur cet hiver long et douloureux, mais on devine les souffrances qu'ils ont endurées et les épreuves qu'ils ont dû surmonter. Et quand à la fin de l'hiver, la compagnie quitte la forêt pour installer son camp dans la plaine, leur amitié sera scellée à jamais et ils pourront continuer à survivre grâce à de petits rituels qu'ils garderont secrets et qui seront des petits bonheurs simples qui feront toute leur force : les sorties en cachette vers un étang tout proche, un « endroit précieux » où ils se baignent, où ils attrapent des poissons, où ils lavent leurs couvertures en les frottant avec du sable, où ils goûtent le bonheur simple d'une sieste au bord de l'eau ; la montre prise sur le cadavre d'un officier avec laquelle ils dorment à tour de rôle « pas pour la montre dont le mécanisme était cassé mais pour la photographie(celle d'une femme) qui était à l'intérieur ; nous nous imaginions que cela nous portait chance » ; les parties de dés sur une caisse en bois, où Kyabine se fait systématiquement plumer par Pavel à qui il remet, la mort dans l'âme, toutes les cigarettes qu'il a perdues : « il n'y avait plus de cigarettes posées en face de Kyabine. Elles étaient toutes passées du côté de Pavel » ; mais Pavel sait aussi, quand la détresse de Kyabine est trop forte, lui rendre une partie de son tabac. Car l'amitié entre les quatre hommes ne fléchit jamais : elle passe par des regards, des silences, des injures parfois vite oubliées dans un fou rire, des échanges de petits riens, une présence silencieuse de l'autre quand l'un fait des cauchemars et a besoin de soutien : « Je n'avais rien trouvé à lui dire pour le consoler sur la berge de l'étang et je ne cherchais plus. Je lui ai simplement demandé : -« ça va Pavel ? - Oui » Et ces petits riens suffisent à leur redonner du courage, face à leur vie de misère et de désolation.
Et puis un jour arrive un gamin (il y en a toujours un dans les livres de Mingarelli). Le sergent leur impose de le prendre avec eux et très vite il est adopté. Le gosse a un carnet et il écrit les choses qu'il voit, les événements, les petits riens de leur vie quotidienne.
On retrouve dans ce roman les caractéristiques du style de Mingarelli. A l'heure où la littérature nombriliste nous fait plonger au plus intime des gens à coups de révélations fracassantes, lui Mingarelli, continue à écrire avec ses phrases courtes, laconiques, dans un style simple, dira-t-on, concis, minimaliste peut-être oui, mais surtout avec des mots qui donnent toute leur importance à des faits et gestes qui en apparence semblent anodins ; ce qui fait que le lecteur se laisse envahir par une émotion subtile qui naît par petites touches de détails infimes qui portent en eux l'universalité du monde. Ces quatre soldats qui marchent dans la plaine, en Galicie, en 1919, deviennent des hommes intemporels qui luttent pour leur survie avec l'arme de la fraternité et du partage, face à l'abomination de la guerre, de toutes les guerres dans le monde.
(Présentation : Anne-Marie Smith)