Emmanuel Lepage et son ami Gildas Chasseboeuf, dessinateur et aquarelliste, se joignent à un groupe d’artistes qui ont décidé d’installer une résidence d’artistes à une vingtaine de kilomètres de la centrale dévastée Tchernobyl. C’est une association bretonne, les Dessin’acteurs, qui était à l’origine de cette résidence pour soutenir une autre association, « Les Enfants de Tchernobyl ».
Ils veulent ainsi témoigner de l’étrangeté de vivre là-bas, alors qu’on leur fait comprendre que les artistes n’ont rien à y faire. Ils veulent donner un témoignage de la tragédie. Pour Emmanuel ce sera un témoignage dessiné qui sera vendu au profit de l’association.
L’auteur se met en scène, fait part de ses angoisses avant et pendant le voyage. Ils avancent jour après jour, sont reçus dans des familles, traversent des zones totalement irradiées, la ville de Pripiat par ex. entièrement ravagée et pillée. Des dessins monochromes montrent les ravages de l’irradiation.
Mais la vie s’accroche : Ils rencontrent des habitants restés là ou qui sont revenus, des habitants avides de partage qui les invitent pour des soirées d'échange où des amitiés naissent : il y a ceux qui ont peur, ceux qui s’aventurent pour voir, avec ou sans masque, ceux qui vont piller, ceux qui se jettent des défis : allez, viens avec moi goûter à la radiation, sentir la langue coller à ton palais. C’est un peu le jeu de la roulette russe. Il y a comme une hypnose qui se crée. Il y a aussi ceux qui viennent en pèlerinage comme sur une tombe, ceux qui se sentent abandonnés et n’ont pour seul horizon que l’alcool ou la foi et ceux qui voudraient tant reconstruire leur terre dévastée.
Il y a des animaux qui reviennent, des arbres au feuillage resplendissant. Emmanuel part dans la forêt pour dessiner. Il a une sensation de calme, de paix : il voit des couleurs incandescentes, des arbres qui repoussent et pourtant il est à Tchernobyl. Il ne voit pas le désastre. Seul son compteur lui dit que la zone est irradiée. Les couleurs de la végétation qui a repoussé cachent le désastre.
Son dessin ne dit donc pas le réel.
Comment dessiner l’invisible ? Il avait pris des craies et des encres noires. Mais c’est la couleur qui s’offre à lui : J’avais imaginé dessiner des forêts noires, des arbres tordus, décharnés, étranges ou monstrueux… J’avais mes craies noires, mes encres sombres, mes fusains… mais la couleur s’impose à moi. Mais la couleur ne montre pas la terre outragée ; il ne faut surtout pas se coucher dans l’herbe. Tchernobyl est beau, la mort est belle.
Comment représenter l’invisible ? Comment rendre visible ce qui ne se voit pas ? Comment rendre cette opposition entre la perception et la réalité ? Tchernobyl est devenue une zone sans hommes, une terre éclatante de beauté, un paradis d’où les hommes sont exclus, se sont
exclus.
(Présentation : Anne-Marie Smith)