Dans un court prologue, l'auteur donne le ton dramatique du roman dont l'action se déroule de nos jours dans un espace-temps bien précis d'avril 1997 au 15 août 1998.
Avril 1997 : Ce serait un triomphe. Alexis Kandilis, chef d'orchestre au sommet de sa gloire le sait. Les musiciens vont suivre. Le hèros de la soirée ce sera lui.
Les plus grandes salles du monde se l'arrachent. Les critiques les plus en vue dans ce micromosme de la musique classique l'encensent. Manque à son palmarès prestigieux, l'enregistrement d'une intégrale de Beethoven connue des initiés sous le nom de B16 pour lequel d'autres chefs célèbres sont en lice.
A chaque concert, les mêmes émotions du public, ses exigences puis sa gratitude et ses hourras. Mais pour Alexis, l'émotion était d'une autre nature. Une émotion feinte, qu'il avait appris à mimer avec talent. Car pour ce chef arrogant, ambitieux, imbu de lui-même, la musique est à son service et non l'inverse. Diriger un orchestre, c'était agréable. Flatteur. Mais c'était de la frime. Une illusion de pouvoir qui consistait à suivre une partition écrite par un autre. A donner des ordres à grands gestes à de braves musiciens obligés d'obéir...(p.74)
Metin Arditi excelle dans l'art du portrait. Comme il a su si bien nous séduire avec celui du Turquetto, il dresse ici par touches légères dont l'intensité ira crescendo un portrait psychologique saisissant de ce personnage hors du commun dont les blessures de l'enfance et les failles de l'éducation maternelle vont peu à peu resurgir. Le Chant pour des enfants morts de Gustav Mahler va revenir à sa mémoire de manière obsessionnelle.
Les gens qui l'entourent : sa famille, ses musiciens, ses amis vrais ou faux, ce monde de paillettes et de faux-semblants qui l'attire et dont il croit avoir l'estime sont parfaitement crédibles sous le trait de Metin Arditi.
Et ce n'est sans doute pas un hasard s'il a choisi d'ouvrir cette fiction sur le travail de l'orchestre autour de l'oeuvre de Verdi La Force du destin.
Il s'agit, en effet, du destin tragique de ce chef d'orchestre imaginé par l'auteur qui « connait bien la musique ».
Flatté dans son orgueil par un mécène à Genève, voulant vivre d'autres sensations fortes, Kandilis se laissera entraîner dans les cercles de jeu haut de gamme, et sera ainsi piégé, méprisé alors qu'il croit être des leurs. Cet Alexis est un benêt. Du genre qui blesse et qui s 'en vante...(p; 78)
Les chroniqueurs musicaux commencent à l'éreinter après un concert. Kandilis nous a proposé une interprétation superficielle et racoleuse... La chasse est ouverte...(p.81)
En juin, une répétition se passe mal. Alexis doute de lui, se montre exigeant mais aussi cinglant et agressif avec ses interprètes. Une remarque destinée à blesser un percussionniste de l'orchestre aura un effet qu'il n'avait pas prévu : une bronca de tous les interprètes.
Lors du concert, il suffira qu'un soliste se décale pour que la machine déraille.
La presse se déchaîne. Les salles se ferment, les contrats sont annulés. Le B16 lui échappe.
La chute est inéluctable. On assistera à la fuite en avant d'Alexis, découragé, déprimé et abandonné par ceux qui l'avaient adulé. L'amour, la sensualité de passage que lui apporteront deux amies-amantes sincères ne l'empêcheront pas de commettre l'irréparable le 15 août 1998.
La force du destin ?
Que les non-initiés se rassurent ! Ce roman singulier de Metin Arditi nous permet d'entrer à pas feutrés dans ce monde de la musique classique peu souvent décrit dans les fictions, dont on ne soupçonne pas quand le « la est donné » les intrigues, les dissensions, les jalousies et les cruelles concurrences.
(Présentation : Josette Reydet)