Monsieur Linh est un vieux réfugié venu d'un
pays d'Asie, un pays de rizières ravagé par des années de guerre, sans doute
le Vietnam. Il vient d'arriver dans un port de France, on ne sait lequel, où
sont accueillis de nombreux réfugiés arrivés par bateau. Monsieur Linh a
quitté son village, entièrement dévasté par les bombes, et n'a emporté avec
lui qu'une vieille valise qui contient un peu de terre du pays et une
vieille photo jaunie. Il tient dans ses bras un bébé de quelques semaines,
sa petite fille Sang diû; les parents de l'enfant sont morts dans un
bombardement. C'est pour sauver sa petite fille qu'il a accepté de monter
dans ce bateau, sa petite fille qu'il garde toujours dans ses bras, pour la
bercer, la câliner, la nourrir et l'endormir avec une chanson. C'est
désormais le seul lien qui le rattache à la vie. Il vit dans un coin de
dortoir, en compagnie d'autres réfugiés qui l'ignorent ou se moquent de lui.
Il vit dans une solitude extrême, la solitude de l'exilé qui arrive dans un
pays dont il ne comprend pas la langue et où les gens vivent en s'ignorant,
toujours pressés d'aller on ne sait où. Les seuls instants de bonheur qu'il
vit sont ceux où dans sa tête ressurgissent des souvenirs, reviennent les
images de ceux qu'il a aimés, sa femme, ses enfants, les gens de son
village. Mais tous sont morts et la solitude de ce vieil homme, son
dénuement, sa douleur due au vide de l'absence sont exprimés avec une telle
pudeur et en même temps une telle intensité qu'on en est bouleversé.
Bien que ne parlant pas la langue du pays, Monsieur Linh va pourtant se
faire un ami, dans la rue, un homme lui aussi brisé par la vie; et miracle,
ils vont se comprendre; car ce qu'ils ressentent se situe au-delà des mots,
au niveau de l'émotion qu'ils traduisent par leurs yeux, leurs gestes, leur
sourire.
Et quand on arrive à la fin du livre, sans l'avoir quitté une seconde, on
est bouleversé par le dénouement qui donne un sens inattendu au livre. En
tout cas, Philippe Claudel réussit à évoquer en un livre très court, l'exil
forcé et tout ce que cela implique : la solitude, le rejet de l'autre
différent, le déracinement, le dénuement, le deuil des siens, le souvenir de
ce que l'on a perdu à jamais ancré dans la mémoire.
(Présentation : Anne-Marie Smith)