Qu'est-ce qui pousse le superintendant Zondi à rendre visite à tous les malfrats et les assassins qu'il a fait enfermer dans des prisons ou interner dans des hôpitaux psychiatriques? Une fois leur affaire classée, il ne pouvait s'empêcher d'aller leur tenir la main dans des parloirs de misère. Une façon de faire un peu mieux son boulot de flic ? Au fond, ces plongées ténébreuses dans le grand égout des faiblesses et des dérapages humains ne représentaient pour lui rien d'autre qu'une interminable succession de cours de sociologie ou de criminologie appliquée.
Une façon de se conduire en profiler, de comprendre ce qui se passait dans la tête de ceux que son chef appelait la crème de la lie.
Mais ce n'est pas seulement le comportement des criminels que Zondi tente d'analyser; son questionnement porte sur la société africaine : ses frères de couleur noirs à qui il reproche de se poser toujours en victimes depuis la fin de l'apartheid, les Blancs toujours aussi racistes mais dont une partie est devenue pauvre et aigrie; les responsables politiques incompétents, incapables de construire une société égalitaire et dont on ne pouvait que constater l'absence de vision.
Tristement, lorsqu'il y songeait, et de plus en plus souvent alors qu'il constatait son impuissance croissante, le superintendant Zondi se disait que son pays bien-aimé s'était laissé aller, qu'il s'était laissé prendre au piège de l'autosatisfaction : tout simplement parce que les Noirs avaient été libérés de l'apartheid sans violence, que la planète entière leur avait délivré un satisfecit et leur avait fait croire que toutes leurs souffrances allaient ainsi être effacées d'un coup de baguette par Magic Mandela... Cette victoire politique avait été universellement considérée comme la condition nécessaire et suffisante du bonheur, de la transformation sociale et comme le bout du chemin, après une longue lutte, une si longue lutte contre la ségrégation raciale. Et tout le monde s'était alors endormi sur les lauriers de la démocratie bredouillante en se berçant de cette illusion que tous les Sud-Africains étaient devenus des frères de sang inconditionnellement amoureux de leur nouveau drapeau, comme si aucune rancœur ou aucun malentendu n'avait subsisté.
Et quand le kidnapping d'un enfant vient s'ajouter à celui de quatre autres disparus, enlevés en quelques semaines à la sortie de leur école, Zondi comprend qu'il est confronté à une nouvelle forme de criminalité : des enfants pris en otage pour devenir une monnaie d'échange. Et c'est parce que les victimes sont des enfants que ce livre est terriblement violent et parfois insoutenable. Cependant ce n'est pas tellement l'intrigue policière qui donne son intérêt à ce polar : c'est la description sociologique qui est faite de l'Afrique du Sud, le tableau qui nous est fait de la situation de ce pays depuis la fin de l'apartheid : un pays en pleine déliquescence qui s'enfonçait de plus en plus dans la violence, la corruption et le dogmatisme politique borné.
La lutte contre l'apartheid avait duré un peu moins d'un siècle, l'état de grâce avait duré dix ans. peut-être ne restait-il maintenant qu'un an pour décider enfin de s'asseoir sur les beaux principes cosmétiques pour regagner le terrain perdu pied à pied. Et qui allait donner à la Nation Arc-en-ciel ce coup de pied au cul salutaire dont elle avait tellement besoin? Une seule voix s'était fait entendre avec véhémence, celle de l'archevêque Desmond Tutu, mais son oracle annonçant que l'Afrique du Sud avait perdu son âme avait suscité bien peu d'enthousiasme à Luthuli House*, dans les ministères ou dans les couloirs du Parlement ...
( * Il s'agit d'un discours prononcé le 27 septembre 2006, dans lequel l'ancien prix Nobel de la Paix a déclaré que l'Afrique du Sud avait perdu son âme et perverti sa liberté. Il faisait tout particulièrement référence à la criminalité en hausse et à la conscience noire qui ne devait pas être une fin, mais un début ...)