"Rwanda, écrire par devoir de mémoire" est un projet unique porté par l'association Fest'Africa qui a proposé à plusieurs écrivains, 4 ans après le génocide, de séjourner à Kigali.
Des livres sur le Rwanda, il y en a eu de nombreux, des essais, des romans autobiographiques, des nouvelles, des témoignages, ces voix se sont élevées contre l’indifférence et l’oubli, des accusations ont été portées contre le rôle de la France. On sait ou on croit tout savoir sur le génocide.
Comment trouver les mots ? “Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire.” Et pourtant, dans ce texte initialement paru en l’an 2000, Boubacar Boris Diop parvient non seulement à raconter la tragédie rwandaise, mais aussi à mener une réflexion profonde. Ce petit livre nous frappe en plein coeur et nous interroge sur nos lacunes, nos faiblesses et notre indifférence. S’il était « un miracle » pour Toni Morrison, pour nous, il est de ces romans nécessaires et essentiels qui restent gravés à jamais dans les mémoires, poignant et respectueux, terrible et salutaire, porté par une recherche sans faille du mot juste. Sans pathos, sans complaisance, l’auteur a réussi le tour de force d’écrire un très beau roman sur cette tragédie moderne. Avec le parti pris d'envisager et alterner tous les points de vue, d'éclater la chronologie, avant, pendant, après, de ne livrer les divers témoignages que par fragments, ce récit construit comme une enquête, permet de mieux illustrer la réalité chaotique d'un pays où chacun est enfermé dans la plus totale des solitudes, chacun dans la souffrance.
Un jour de l’été 1998, Cornelius, candide en quête de vérité, rentre chez lui, au Rwanda. Pendant qu’il étudiait, à Djibouti, les Hutu ont massacré les Tutsi : 10 000 morts par jour, à la machette, trois mois durant, entre avril et juin 1994. Cornelius rencontre des amis d’enfance, survivants. Des portraits d’acteurs et de victimes du génocide se succèdent. Nous entrons de plein pied dans l’esprit des protagonistes, survivants, victimes et bourreaux nous livrent leur histoire, le petit chef ambitieux, soucieux de bien faire son « travail », la jeune résistante au double jeu, le miraculé, enseveli sous les cadavres, le docteur instigateur du massacre à Murambi, le colonel français chargé de faire évacuer les Hutu vers le Zaïre (l’historique opération « Turquoise »).
A Kigali, rien ne laisse supposer l’étendue des massacres.
«Il était stupéfiant pour Cornélius de constater que les événements de 1994 n'avaient laissé nulle part de traces visibles….. la ville refusait d'exhiber ses blessures. Elle n'en avait pas beaucoup, d'ailleurs. Kigali ne sortait pas d'une guerre, il n'y avait pas eu de tirs d'obus, des bombardements aériens et des fusillades de part et d'autre de quelque ruelle étroite. Les Interahamwe, qui voulaient de la viande vivante, avaient laissé les arbres tranquilles. Le long des avenues, rescapés et bourreaux se croisaient. Ils se regardaient un instant puis chacun s'en allait de son côté, pensant à Dieu sait quoi. »
A Murambi, sa ville natale, c’est autre chose. Là, tout a été conservé, en l’état, la ville martyre est un musée où sont entreposés les ossements.
Il retrouve Siméon, son oncle, qui va l’aider à comprendre et à voir la vérité en face.
Entre deuil, haine et culpabilité, Cornélius sera forcé de faire sienne une part de la barbarie.
Dans une passionnante postface, réflexion fondamentale sur l’écriture et l’engagement, sur le rôle de la France et l’absence de réaction des pays africains, le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop, se demande « Pourquoi moi, l’écrivain, le journaliste, n’ai-je pas à l’époque, été capable de voir un seul de ces centaines de milliers de corps » et ai-je adhéré aux clichés ethniques d’une Afrique cannibale ? Sans doute, conclut-il, parce que, comme le dit un proverbe wolof, « si tu empruntes à quelqu’un ses yeux, ne t’étonne pas de ne voir que ce que lui-même voit. »
« Le devoir de mémoire est avant tout une façon d’opposer un projet de vie au projet d’anéantissement des génocidaires et le romancier y a son mot à dire ».
Présentation : Simone Delorme