"Après une longue absence de France, j'ai désiré changer d'habitude".
Personne n'a oublié les raisons pour lesquelles Jean-Paul Kauffmann est resté absent de France, ses trois longues années de captivité de 1985 à 1988, "trois années fantômes". Comment va-t-il revivre après l'enfermement du Liban ?
C'est le Sud-Ouest de la France qu'il choisit, plus particulièrement le département des Landes, un paysage démesuré mais jamais borné, pour y trouver une maison "conforme à nos illusions : isolée, rustique et ruinée". Il prospecte longuement la région avec sa femme Joëlle, jusqu'au moment où son regard s'arrête sur une bâtisse dans une clairière : c'est comme un coup de foudre : "C'est alors que je l'aperçois... C'est elle que je n'ai cessé de chercher... une vaste retraite campagnarde, des arbres, beaucoup d'arbres, dont deux immenses platanes qui déploient leur ligne brisée autour de la façade. Et la forêt de pins qui entoure sans étouffer". Sans oublier une dizaine de tilleuls qui ont donné son nom au domaine.
Cette maison, il en a surpris tout de suite l'âme secrète : "une maison qui essaie de ne pas sombrer".
Il s'installe sans tarder au premier étage pour en surveiller la restauration. C'est du moins l'alibi qu'il se donne pour expliquer sa retraite : "Pourquoi en effet ce besoin de s'installer en marge du temps, au coeur de la forêt, loin du monde ? Peut-être l'illusion que le spectacle de la nature et de la métamorphose universelle guérit de tout".
"Tout en moi était dévasté. Il fallait commencer à repeupler ce paysage de désolation, établir une nouvelle relation de confiance avec le monde".
En même temps que la maison reprend vie, lui revient dans le monde des vivants, réapprend à respirer : "Je reprends mon souffle, mais je n'ai pas encore trouvé le rythme. Je suis comme un plongeur qui remonte par paliers".
Il savoure tous les bonheurs retrouvés : lire, réfléchir, se promener, déguster un verre de Bordeaux, écouter Haydn, explorer la maison, et surtout au contact de la nature, se laisser envahir par une sorte d'allégresse quand au printemps le vivant reprend ses droits. Il va même abandonner la lecture pour devenir planteur d'arbres.
Il quitte le confort de la maison pour passer une nuit dans le hamac tendu entre les deux platanes, pour être ainsi au plus près de la nature pour mieux la voir, la sentir, l'écouter: "J'attends dans le hamac l'instant où le poids de la nuit va enfin trébucher mais le basculement ne vient pas. Chien et loup, ils sont à égalité. Je savoure cet entre-deux. C'est un flottement déchirant comme un adieu qui n'ose pas être prononcé. Ce noir qui commence à prendre le dessus n'est en fait que la lumière qui se retire. C'est un repli temporaire, non une retraite, un décrochement, non une disparition".
Tous ces instants, il nous invite aujourd'hui à les partager, puisque en retrouvant le désir de vivre, de sentir, de regarder, il a trouvé aussi celui d'écrire, devenant ainsi l'archéologue de son passé.
(Présentation : Anne-Marie Smith)