Un enfant prend conscience de la nature politique de son pays : le totalitarisme alors qu'il croyait en un avenir radieux. De l'époque soviétique de Brejnev à la chute du mur de Berlin, la dictature règne. Dmitri Ress, dit "Le Poète", en a été la victime. Sa lutte contre le régime lui a valu de sévères peines de prison dont il sortait meurtri, le corps rongé par les sévices, vieilli avant l'heure. Il critiquait non pas les tares spécifiques du régime en place, dans la Russie d'alors, mais "la servilité avec laquelle tout homme en tout temps renie l'intelligence pour rejoindre le troupeau". Mais une lumière brillait dans sa vie et l'aidait à résister : un amour infini pour une femme : "Il l'aimait... comme on ne peut être aimé... qu'ailleurs que sur cette terre". Un amour qui rend la beauté d'une femme éternelle malgré les ravages du temps.
L'évocation de cet amour est l'occasion pour le narrateur d'évoquer des moments intenses où surviennent des rencontres qui redonnent espoir et sens à la vie :
Le regard lumineux d'une femme croisé un instant, un visage meurtri mais plein d'amour, tendu vers celui qu'elle aimait.
Une jeune fille qui a évoqué pour lui la vie de sa grand-mère témoin des exactions commises par Lénine dans les villages qui résistaient à l'oppression.
Une autre jeune fille encore qui elle aussi résistait par une sorte de sérénité qui l'habitait et qui lui faisait dire :"La seule doctrine vraie, c'est de s'aimer".
Un vieux couple, survivant de la Russie des tsars,qui offrait un visage empli de tendresse malgré les guerres traversées, les séparations et tous les événements tragiques de leur vie.
Un jeune garçon, camarade d'enfance, le visage ravagé par des éclats d'obus,qui lui a offert un bouquet de fleurs blanches, après une balade en forêt : un instant de grâce, un geste simple qui sera pour lui l'instant d'amour le plus vrai qu'il ait vécu. Geste d'autant plus précieux pour lui à un moment où il avait pris conscience que la société fraternelle à laquelle il rêvait naîvement quand il était enfant, n'existait pas.
Alors les hommes sont-ils impuissants dans un monde sans amour ? Dans ce monde, la haine est-elle la règle et l'amour une anomalie ? La réponse est dans la bouche de Dmitri Ress : "Ils m'ont surnommé Poète mes camarades du camp. Si seulement c'était vrai ! Je saurais dire la joie et la lumière que je découvre partout, ces derniers temps. Oui, dire un instant comme celui-ci, sous la dernière neige, la senteur d'un feu de bois et la lampe qui vient de s'allumer dans cette petite fenêtre grise, là-bas, vous voyez ?"
Voir la beauté d'un ciel, du scintillement de la neige, du ruissellement sonore des eaux sous l'épaisseur des glaces, d'un oiseau voler d'une branche à une autre... a-t-on besoin d'une doctrine pour goûter ces instants de bonheur ?
(Présentation : Anne-Marie Smith)