Le livre commence par une longue énumération de cinq pages dont l'éditeur a repris un passage dans sa présentation du livre :
"Je suis de la génération qui a fêté ses dix ans avec le génocide rwandais, je suis de la génération qui a perdu Bertrand Cantat et découvert la Lituanie par la même occasion, je suis de la génération qui n’aura plus de pétrole alors qu’elle commence à peine à s’amuser avec les low-cost, je suis de la génération qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde."
Cinq pages qui nous rappellent tous les événements qui ont fait l'actualité de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. et qui, selon l'auteur, expliquent sa génération. C'est comme un cri du coeur, une rage intérieure qui montre que cette génération vit plus mal que ses parents, d'où cette violence qui se termine ironiquement par : une génération ... à qui on répète qu'elle peut gagner la bataille du pouvoir d'achat !
Le chapitre suivant s'ouvre sur le mariage de l'héroïne, mais un mariage particulier puisqu'il s'agit d'un mariage blanc. Elle va épouser Mad, son ami de toujours, Mad d'origine malienne qui en a assez de devoir renouveler continuellement ses papiers et des humiliations qu'il subit de la part de l'administration. Je ne peux pas ne pas le faire, simplement parce que Mad et moi, depuis que j'ai trois ans, nous partageons presque tout et que le type qui m'a offert la moitié de son duvet lors de notre première classe de neige où j'avais oublié le mien mérite d'avoir aussi un morceau de ma nationalité s'il la veut.
Au moment où elle monte les marches de la mairie, toute sa vie lui revient, ce qui va lui permettre d'expliquer pourquoi elle a accepté ce mariage blanc. Elle revit son enfance, son adolescence, son increvable amitié avec Mad, leur engagement et leurs révoltes pendant les années collège et lycée. Enfants ils ont été victimes du racisme ordinaire, quand ils ont entendu pour la première fois le mot bougnoule, un mot dont les parents d'Alice ont voulu la protéger sans succès. Plus tard quand il a été question de voter des lois anti-immigration, quand il y a eu des élections, confrontés à ce racisme qui exclut et qui les excluait violemment, Mad du moins puisqu'il pouvait être expulsé un jour ou l'autre, ils ont bien été obligés de s'engager. Mais les personnages savent malgré tout se protéger en gardant autour d'eux les murs de l'enfance et de l'adolescence qui les maintiennent isolés comme dans une bulle.
L'héroïne de ce livre s'appelle Alice, comme l'auteur. On espère que c'est de sa part une façon de dire qu'elle assume son personnage et ses opinions. Ce qui nous changerait de tous ces écrivains qui, tout en faisant de l'autofiction, refusent toute ressemblance avec leur personnage et assurent que tout est inventé !
Quant à l'écriture - une langue rageuse et crue dont le rythme rappelle le rap - Alice Zeniter s'est expliquée dans l'Encreblog : Pour ma démarche d'écriture, je n'ai pas fait un roman à message sur lequel j'ai plaqué un langage jeune. Comme j'essaie de le dire dans l'interview, je ne parle pas non plus ce langage parce que c'est le mien et que je n'en connais pas d'autre. Je voulais essayer de voir si l'on pouvait faire de la littérature avec ça, parce que le rythme me plaît énormément. Et je ne jure pas pour faire rebelle. C'est parce que putain remplace désormais nos points-virgules.
Je savais que c'était un risque de départ, que le fait d'adopter ce style risquait de me faire classer directement dans la production adolescente. J'espère qu'une partie des lecteurs comprendra sans que j'aie à m'en expliquer qu'il s'agit d'autre chose. Comme ce que les auteurs américains du 20e ont pu faire avec leur argot, même si je ne prétends pas pouvoir les égaler.
Tenter de faire de la littérature avec ce qui n'en est pas, c'est ce qui me plaît le plus.
Ceci étant, les critiques n'ont pas toujours été tendres pour Alice Zeniter. David Caviglioli, sur Bibliobs, le site littéraire du Nouvel Obs, a été féroce : On sera donc indulgent avec cette bluette, niaise et agressive comme une diatribe adolescente, qui s'ouvre sur une tentative de définition générationnelle fourre-tout égrenant les grands thèmes de l'actualité 1995-2010...Question littérature, il en va malheureusement des bonnes actions comme des bons sentiments.
Chacun appréciera selon ses goûts. Terminons la polémique en laissant encore la parole à Alice Zeniter dans le même Entreblog qui explique qu'il ne faut pas qu' un petit groupe érudit conserve jalousement la petite boîte à bijoux des ouvrages majeurs et (que) le reste du pays (lise) des romans d'amour qui sont gluants de bons sentiments. Chaque groupe déteste l'autre. J'ai délibérément essayé de faire un livre qui ait un pied dans chaque camp. Ce ne sera probablement pas mon crédo pour chaque bouquin mais pour celui-là je crois que ça se tient : voler la littérature aux connaisseurs pour la donner à ceux qui en ont peur. Alors forcément, ça demande d'arrondir un peu les angles pour montrer que ça peut être accessible.
Ailleurs elle dit encore : Ce roman doit permettre d'entrer en littérature comme on passe une porte.
(Présentation : Anne-Marie Smith)