HARRAGA est le 4ème roman de Boualem Sansal, inspiré de faits authentiques.
Il met en scène Lamia, 31 ans, la narratrice, qui s’étiole entre son travail de pédiatre dans un hôpital d’Alger où le quotidien est fait de misère, de violence et de misogynie et sa maison de Rampe Vallée (quartier d’Alger), vieille de 2 siècles, ayant appartenu aux occupants successifs de l’Algérie, depuis les ottomans jusqu’aux récents « pieds-noirs ».
Cette maison tient une grande place dans le roman. C’est le rempart de Lamia contre l’hostilité de la ville. « C’est mon havre, mon histoire à moi, ma vie. » Elle y vit recluse, sans espoir d’avenir, avec ses souvenirs : plus de famille, seul un jeune frère Sofiane, harraga, « brûleur de route », parti vers l’enclave espagnole du Maroc d’où il espère gagner l’Espagne. L’accompagnent aussi les fantômes de la maison, ses délires et cette folie douce qui commence à la gagner.
Reste qu’un jour, on frappe à la porte. Elle ouvrira avec méfiance à Cherifa, une adolescente de 16 ans, arrivant d’Oran, enceinte de 5 mois et à qui Sofiane a dit : « Va chez ma sœur, elle est revêche, colérique, vieille fille, mais elle t’aidera ». Lamia dit d’ailleurs d’elle-même : « Je suis aigrie, intolérante, méchante, querelleuse, intempestive et j’en passe. Je me déteste…Pourtant, je suis une romantique, j’écris des poèmes. »
S’ensuit un véritable chamboulement de leur vie commune. Lamia passe du rejet à l’affection et à la prise en compte de l’éducation de sa protégée. Chérifa étouffe, fugue. Lamia se désespère, la recherche.
Ces péripéties sont prétexte à une description cinglante mais non dépourvue d’humour de la société algérienne, exprimée par une femme (ce qui est nouveau chez l’auteur) :
-«… Les hommes de ce pays n’en finissent pas avec les maladies infantiles…Je ne comprends pas cette manie qu’ils ont de toucher avec les mains et de tout porter à la bouche. Et je ne te dis pas, ma vieille, j’ai des idées de boucherie quand je les vois se remonter les billes, se curer le nez au volant, se gratouiller l’anus en marchant, cracher comme ils respirent… ! »
-«… Le mauvais exemple vient de haut, du gouvernement qui prend son inculture pour un diamant légendaire, sa barbarie pour du raffinement, ses bricolages pour de formidables stratégies d’Etat, ses détournements pour de légitimes rémunérations… »
Cette nostalgie ambiante, ces désespoirs répétés s’estomperont à certains moments au profit de folles espérances dans un avenir lumineux.
Boualem Sansal est venu à Gap en novembre 2003, après la parution du Journal intime et politique, Algérie, 40 ans après (co-édition Littera 05,éditions de l’Aube 2003), ouvrage auquel il a participé avec d’autres auteurs algériens.
Il nous avait donné à comprendre la beauté de l’Algérie et sa tristesse de voir son pays s’enliser dans la corruption, la violence et l’intégrisme.
Déjà, il se demandait : Rester dans ce pays, sans illusions, sans avenir ou partir, tourner le dos, s’exiler.
Impossible de décider.
Harraga reprend cette problématique.
Présentation : Josette Reydet