Dans ce récit on vit on réalise ses rêves et on change de destination au gré des relations. Chacun évolue à sa façon selon ses besoins, ses désirs et le contour de sa personnalité. Le point d’orgue, la montagne, avec un village, Fontana Fredda au cœur du Val d’Aoste où des personnages se croisent, se rencontrent, se reconnaissent sans s’être rencontrés. Fausto écrivain milanais en rupture de couple loue pour l’hiver ses talents de cuisinier au Festin de Babette, restaurant accueillant gens du pays, travailleurs et skieurs. Il y retrouve Silvia, jeune serveuse de passage et partagent en amoureux l’hiver sans autre promesse. Santorso ancien garde forestier, montagnard solitaire reclassé en dameur de pistes, plus proche des animaux que de ses semblables guette chaque soir à la fin de son travail un couple de tétras-lyres mâles qui se retrouvent à la lisière de la forêt pour se battre.
Dans ce récit, l’auteur explore les relations humaines dans la vallée, avec ses partages, l’entraide naturelle - Santorso rapporte des bûches pour nourrir le feu de Gemma, vieille et pauvre - dans un milieu où l’on tente de s’accepter tel que l’on est. D’ailleurs Babette en fait sa renommée. Elle a nommé son restaurant en référence à une nouvelle de Karen Blixen dans laquelle une servante française en Norvège apaise les rancœurs des travailleurs avec un festin inoubliable.
L’apprentissage de la montagne se retrouve dans ce fil des jours tissé par chaque personnage et, quand on retrouve Silvia en saison estivale dans un refuge du Mont Rose, camp de base au pied du glacier du Félik, c’est pour se familiariser avec la roche, la glace, le manque d’oxygène et la manière dont chacun aborde cet univers, refuge, évasion, danger, gagne-pain. À côté des corvées assumées par les travailleurs à tour de rôle l’auteur nous invite à découvrir les décors grandioses et l’attrait irrésistible des sommets tout autant que la fragilité des sentiments et la force d’âme nécessaire à la vie à cette altitude.
Paolo Cognetti, remarqué pour un précédent roman « les huit montagnes » (prix Médicis étranger 2017) dans lequel la symbolique s’attachait aux sensations du marcheur passionné et au sens de la vie empreint de sagesse népalaise, propose ici en filigrane « Les trente-six vues du Mont Fuji » du peintre Japonais Hokusai, livre offert par Silvia à Fausto et sa prise de conscience des écarts entre les univers et la fragilité humaine, chaque vue du peintre décrivant une scène dans laquelle les acteurs n’avaient aucune conscience de la splendeur des paysages qui les entouraient.
Le loup du titre parcourt le récit sans avoir une place prépondérante. Il est présent dans les lieux délaissés par les humains « […] ma foi ils peuvent bien le reprendre cet endroit, tu ne crois pas ? De toute façon, il n’y a plus personne » remarque Babette, ainsi du constat de Fausto, « de toute façon le loup ne devient jamais sédentaire à l’opposé de la forêt dans laquelle il s’abrite ».
Les choses vont ainsi, inéluctables, l’apprentissage des jeunes loups se fait au détriment du bétail non gardé, les effets du changement climatique produit par l’activité humaine transformeront cette vallée en lac, les glaciers disparaîtront et les humains toujours tentent de se construire alternant joies et souffrances. Un rien de nostalgie dans l’inexorable finement avancé.
Annie Contin pour Littera05