Louise Erdrich est l’une des voix littéraires majeures des Amérindiens. Elle est née d’une mère indienne Chippewa et a passé son enfance dans le Dakota du nord. De là viennent la plupart des personnages amérindiens de ses romans qui luttent pour leurs terres, leurs droits, leurs croyances, leurs rites et leur mémoire.
Dans ce roman, « Celui qui veille », pour lequel j’ai eu un coup de cœur, Louise Erdrich nous entraîne justement à Turtle Montain chez les amérindiens Chippewas en 1953. L’histoire commence alors que le Congrès des États-Unis vient d’adopter la « résolution 108 » visant, sous prétexte d’égalité entre tous les citoyens américains, à supprimer les tribus amérindiennes en leur faisant perdre leur singularité autochtone, et donc à les chasser de leurs terres après les avoir « libérés » des traités que leurs ancêtres avaient signés et qui leur assuraient au moins la vie dans des territoires qui leur étaient réservés. Des traités censés durer « aussi longtemps que l’herbe poussera et que l’eau des rivières coulera ».
Deux histoires se croisent dans ce roman. La première, inspirée par la vie du grand-père de l’autrice, est celle de Thomas qui est d’une part veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie proche de la réserve et d’autre part président du conseil tribal de Turtle Mountain. Il est celui qui veille sur son peuple et lorsqu’il réalise la portée de cette résolution fédérale, la menace qu’elle représente pour les siens, il va demander une audience auprès du sénateur Watkins au Congrès à Washington.
Le deuxième personnage marquant de ce roman est Pixie, une jeune femme de dix-neuf ans, nièce de Thomas et employée Chippewas dans la même usine que lui. C’est une battante qui souhaite faire des études et ne veut ni mari ni enfants. Pour l’instant, son salaire permet à sa famille de survivre. Elle va cependant quitter un temps et pour la première fois sa communauté afin de partir à Minneapolis rechercher sa sœur aînée Véra qui n’a pas donné de nouvelles depuis des mois.
Au delà de ces deux personnages principaux, l’autrice a su capter une tranche de vie de toute la communauté Chippewas et la restituer grâce à un récit d’une grande force, à la fois très engagé et humain, sans manichéisme. Avec un style tout en délicatesse et émotion, développé dans de courts chapitres, Louise Erdrich a su décrire la complexité des rapports humains dans les situations personnelles comme dans les évènements collectifs.
C’est un roman que je garde en mémoire grâce à son engagement qui nous rappelle les luttes acharnées que les amérindiens ont menées et continuent à le faire pour préserver leur dignité de premiers habitants du territoire.
Enfin, ce beau roman a été couronné par le Prix Pulitzer en 2021.
Présentation :Marie-Claire Royer