Dan O'Brien, éleveur et romancier, s'est installé dans le Dakota en 1970, dans le ranch de Broken Heart, au pied des Black Hills, dans les Grandes Plaines de l'Ouest américain. Il a d'abord oeuvré à la réintroduction du faucon-pèlerin. Dans son essai "Rites d'automne", il raconte comment il accompagnait la migration des faucons de la frontière canadienne au Golfe du Mexique.
D'abord éleveur de bovins, il est ruiné par les emprunts auxquels il ne peut faire face. Les plaines où paissent ses vaches sont arides et rendues quasiment stériles par l'élevage et l'agriculture intensifs des bovins. C'est dans ces plaines que paissaient les bisons massacrés au XIXe siècle pour affamer et anéantir les Indiens qui vivaient dans ces grandes plaines de l'élevage du bison.
Et un jour une rencontre bien particulière va changer sa vie :
Une fin d'après-midi de septembre, il y a une douzaine d'années, mon pick-up m'a mené sur un chemin de terre isolé qui longeait la limite sud du parc national des Badlands. Je pensais aux traites qu'il me faudrait rembourser en octobre et à la chute récente et inexplicable du prix de la viande qui allait réduire mes revenus de moitié. Je roulais trop vite et en débouchant sur un talus poussiéreux, j'ai failli m'encastrer dans un énorme bison.
Voluptueusement allongé au milieu du chemin, il était étendu au soleil comme un gros matou d'une tonne. Mis à part une baleine aperçue un jour, c'était la créature la plus grosse que j'avais jamais vue. J'ai freiné mais j'étais beaucoup trop près et, comme je me démenais pour passer la marche arrière, il a relevé la tête et m'a regardé droit dans les yeux. J'étais suffisamment près pour voir le pare-chocs du pick-up se refléter dans ses sombres yeux ronds surmontés d'une touffe de poils noirs et frisés. Sa tête était aussi grosse qu'une machine à laver.
J'ai réussi à passer la marche arrière mais, tel l'invité piégé par le regard du vieux marin dans le poème de Coleridge, j'étais pétrifié. Nous nous sommes observés pendant presque une minute, et pendant une minute, tous mes soucis professionnels ont été éclipsés par cette montagne vivante allongée devant moi. Je me suis concentré sur ses cils, longs et expressifs, alors qu'il chassait un papillon jaune d'un battement de paupière. Tranquillement, la tête s'est baissée et les pattes se sont dépliées sous l'imposant animal. La courte queue en pinceau a fouetté la poussière et le bison s'est balancé une première fois, puis une seconde, et s'est mis sur ses pattes. Il s'est ébroué comme un chien et un nuage de poussière du Dakota du Sud s'est élevé autour de lui, flottant dans la brise fraîche du soir. Puis il a levé le minuscule sabot noir de sa patte arrière gauche, il a tendu la tête et, de son sabot, pareil à une ballerine, s'est gratté le cou au niveau de sa longue barbiche laineuse. Il m'a jeté un dernier regard avant de quitter le chemin pour disparaître dans une ravine...
Dan O'Brien est persuadé que l'homme blanc, en éliminant les bisons, a fait sauter une marche à l'évolution et a détruit l'écosystème. Il va lancer un défi en redonnant à la nature tous ses droits et c'est la réintroduction du bison qui va le permettre. Il va peu à peu échanger son troupeau de vaches contre un troupeau de bisons, persuadé que le bison est le chaînon manquant de l'écosystème et qu'il va ramener la vie dans les plaines de son ranch. Mais pour cela il doit laisser son troupeau de bisons vivre quasiment à l'état sauvage. Il refuse d'élever ses bisons comme on le fait dans des enclos d'engraissement.
Et on assiste à la résurrection des grandes plaines : l'herbe repousse, les paysages sont plus beaux, plus riches, la terre revit, des espèces animales disparues reviennent retrouvant là un habitat naturel qui leur convient...
" Les bisons étaient là depuis un été et déjà on remarquait que les arbustes poussaient touffus comme jamais, que la population des tétras et des oiseaux chanteurs augmentait. Les bisons refusaient aussi de piétiner au bord des points d'eau, comme le font régulièrement les vaches. L'herbe autour des étangs était abondante et propre. L'eau n'était pas souillée par les déjections animales. Les étangs étaient devenus des habitats plus propices pour les autres animaux....
Au début de ce premier hiver, j'en suis venu à croire que les bisons étaient bien plus qu'un maillon manquant à la santé des plaines. je me demandais si je n'étais pas tombé sur le seul et unique maillon manquant, dont l'absence crée l'accroc qui menace de détisser toute la tapisserie ...
Un très bel hymne à la nature . Quand Dan O'Brien affirme que "L'avenir de l'homme est dans le monde sauvage" , il rappelle à l'homme que , s'il veut sauver la planète, il doit respecter la nature et la vie sauvage.
(Présentation : Anne-Marie Smith)