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Tiffany McDaniel, née en 1985 dans l'Ohio aux États-Unis, est une romancière, poétesse américaine.
Très jeune elle a écrit de nombreux textes non publiés jusqu’à ce que son premier roman soit accepté par un éditeur « L’été où tout a fondu ». Mais c’est surtout son 2e roman qui a été remarqué par la critique et qui lui a valu déjà un prix, le prix du roman Fnac2020. C’est ce livre que je veux vous présenter. Betty, édité en 2020, et traduit chez Gallmeister la même année (par François Happe).
L’auteur nous explique au début du livre que c'est l'histoire de sa mère qu'elle a écrit. Et elle
l'a écrite à la 1ere personne.
le livre de 716p est séparé en 5 chapitres qui suivent une ligne chronologique depuis l’année 1909 jusqu’en 1973.
Le premier qu’elle nous présente, c’est son père, descendant des Cherokees.
Betty avait la peau foncée des Indiens, ce qui lui valait de nombreuses injures et coups racistes. C’est chez son père qu’elle aimait par-dessus tout qu’elle trouvait du réconfort. Il savait consoler en racontant des histoires qu’il empruntait à la culture indienne ou qu’il inventait, des histoires qui parlaient des croyances de son peuple et de la nature surtout lire. C’est en écoutant son père qu’elle a compris le pouvoir de l’imagination : « Non seulement papa avait besoin que l’on croit à ses histoires, mais nous avions tout autant besoin d’y croire aussi… Nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées. »
Et très tôt Betty a pris une feuille de papier et un crayon pour écrire les évènements qu’elle vivait. Elle mettait ses feuilles dans un bocal, creusait un trou dans la terre et y cachait le bocal.
Elle y racontait les événements heureux et les évènements sombres que vivait sa famille. Une famille d’une dizaine d’enfants qui n’ont pas tous survécu. Il restait Fraya, l’aînée, Leland qui s’est engagé dans l’armée, Flossie qui rêve d’être star et de rencontrer Elvis Presley, Lint un enfant fragile qui ramasse des cailloux mais dont on découvre la sagesse au fil des pages, Trustin qui a toujours avec lui des crayons pour dessiner, et enfin la petite dernière Betty, celle qui raconte, la petite fille à la peau foncée. Ils ont longtemps mené une vie d’errance jusqu’au jour où ils s’installent dans l’Ohio, dans une maison en ruines qu’ils vont aménager avec beaucoup d’amour.
Des moments heureux, Betty en a vécu avec sa famille, des moments pleins de douceur qui faisaient oublier la misère : les chansons dans la cuisine, les promenades dans la forêt, les baignades dans la rivière, les Noël où chacun a droit à un cadeau. De très belles pages pour raconter comment leur mère leur faisait oublier qu’ils n’avaient rien à manger en imaginant qu'ils faisaient des doughnuts et les mangeaint tous ensemble.
Mais Betty va aussi connaître de nombreux drames : sa mère tente de se suicider : pourquoi ? Un jour sa mère lui racontera les violences, les viols qu’elle a subies de la part de son père quand elle était enfant, son père qui dit-elle, a transformé un ciel bleu en une violente tempête . « Dieu nous hait, nous les femmes »
Elle-même doit affronter les brutalités que lui infligent les autres enfants et les enseignants quand on la force à aller à l’école. Sa peau foncée fera d’elle une exclue, une maudite. Elle y subit les pires brimades de la part des enseignants et des élèves. Pour se consoler, elle va rejoindre son père qui l’emmène dans la forêt à la recherche d’une plante, le ginseng, l'occasion pour son père de lui montrer tout un rituel qu’il met en place pour déterrer une plante. Et c’est de cette façon que Betty sera consolée.
Un livre fait de deuils, de violences qui ont traversé plusieurs générations. Mais surtout un livre où on découvre comment Betty a su faire face, a su transcender toutes les tragédies vécues par sa famille, ses plus noirs secrets, comment l’amour de son père l’a amenée vers l’écriture et la poésie et c’est très émouvant de voir une jeune fille naître comme écrivaine. Car c’est par les mots qu’elle va pouvoir transcender toutes les violences subies, trouver en elle la force de ne pas se laisser submerger par tous les traumatismes et parvenir à se construire. Un beau roman sur la résilience.
« Devenir femme, c'est affronter le couteau. C'est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d'avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine tous les samedis. Ou bien on se perd, on bien on se trouve. Ces vérités peuvent s'affronter à l'infini. Et qu'est-ce que l'infini, sinon un serment confus ? Un cercle brisé. Une portion de ciel fuchsia. Si l'on redescend sur terre, l'infini prend la forme d'une succession de collines verdoyantes. Un coin de campagne dans l'Ohio où tous les serpents dans les hautes herbes de la prairie savent comment les anges perdent leurs ailes. »
(Présentation : Anne-Marie Smith)