Apeirogon : figure géométrique, forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés.
Une dramaturgie en 1000 paragraphes, référence aux contes des mille et une nuits, une narration qui suit le rythme d’une marée qui monte et descend, sans chronologie, un va et vient entre passé et présent, pour raconter une histoire particulière déclinée sous plusieurs angles, en de multiples points de vue. Colum Mc Cann tisse une toile, assemble les pièces d’un puzzle sans fin. Il nous offre une œuvre polymorphe qui nous plonge au coeur du conflit israélo palestinien nous permettant d’en saisir toutes les nuances. Pour cela, il est parti d’une histoire vraie.
Rami, l’israélien a perdu sa fille de 13 ans, Smadar, dans un attentat suicide. Une décennie plus tard, Abir, 10 ans, la fille de Bassam, le palestinien, est tuée par un jeune soldat israélien.
Passé l’état de sidération, le chagrin immense, les deux hommes, que tout oppose, vont devenir amis, se soutenir, s’aider, essayer de rassembler ceux qui, comme eux, veulent sauver des vies. Ils font partie du « cercle des parents » et deviennent des ambassadeurs du mouvement pour la paix qu’ils ont fondé. Ensemble, ils vont parcourir le monde, multiplier les réunions, les conférences, témoigner inlassablement, essayer de convaincre qu’il faut dialoguer, dépasser la haine, que l’union est une force, qu’il y a un avenir possible pour leurs deux pays.
Bassam est depuis l’enfance engagé de fait dans la lutte contre l’envahisseur. Condamné comme terroriste, il passera 7 ans en prison. Rami est un israélien tranquille qui se tient à l’écart de la politique et du monde. Nous suivons chacun dans son évolution vers la compréhension de l’autre à travers leur vie, leur famille, nous apprenons à connaître ces deux enfants dont la vie a été brutalement interrompue.
Ce livre est étonnant par la forme et singulièrement virtuose. Chaque détail, chaque digression, chaque passage qui semble nous éloigner du sujet traité sont autant de portes d’entrées pour nous permettre d’en appréhender toutes les facettes.
Colum Mc Cann est un formidable écrivain qui sait se renouveler à chaque fois. Il sait se couler dans la vie des autres, emprunter leurs émotions pour mieux les restituer. Quelle force dans ce livre, surprenant, émouvant, bouleversant, intelligent qui, tout en restant lucide sur la complexité de la situation, porte haut le message d’espoir qu’il distille.
Assurément une lecture dont on se souvient longtemps.
Extrait : «Israël carburait au chaos. C’était un pays édifié sur des plaques tectoniques mouvantes. Les choses entraient constamment en collision. Tous les chemins menaient aux extrêmes, à la prochaine rupture, mais la vie atteignait le comble de l’intensité dans les moments de danger.»
(Présentation : Simone Delorme)