L’auteur s’est inspiré de témoignages de personnes qui, enfants à l’époque de la seconde guerre mondiale, habitaient en Prusse-Orientale. Ces récits de survivants lui ont permis de transcrire dans ce premier roman la terrible expérience de vie de ceux que l’histoire désignera par le mot de «wolfskinder», les «enfants-loups».
Nous sommes en 1946. L’armée soviétique avance en territoire allemand, cet«antre fasciste» où vit une population qu’il faut écraser, dépouiller de ses biens, punir. Dans ces campagnes, villes et villages, il ne reste pourtant que des femmes, des enfants , des vieillards, car les pères et les maris ont disparu : morts ou engagés dans les derniers combats de la Wehrmacht. Les premières pages sont déchirantes où on lit comme une litanie les malheurs de la Prusse de l’immédiat après-guerre et on trouve dans ce roman bien des passages poignants qui nous obligent, nous lecteurs, à regarder la guerre en face.
On suit le triste quotidien d’une famille : les russes ont confisqué leur maison et c’est dans une remise au fond du jardin que doivent vivre Eva et ses enfants , Heinz, Monika, Renate, Brigitte, Helmut, et sa belle-soeur Lotte. Malgré le froid, les violences, les blessures et la faim, leur courage et leur volonté de survivre, leur aptitude au sacrifice sont déterminants... Trouver de quoi se nourrir et nourrir les enfants : c’est l’essentiel. Une seule solution pour cela , tromper la vigilance des soldats pour passer la frontière, aller en Lituanie, se cacher dans la forêt, quémander un travail quelconque en échange d’un morceau de pain ou de lard à ramener plus tard à la maison pour les frères et soeurs qui attendent avec espoir le retour de «l’enfant loup», le plus grand, le plus apte à surmonter l’épreuve.
« A l’ombre des loups» relate un épisode bien sombre de l’Histoire mais c’est aussi une histoire d’entraide et d’humanité. Dans une série de tableaux on suit les divers chemins des membres de la famille. Leurs destins finiront par se séparer, comme ce fut le cas de nombre de ces «enfants-loups» qui ne retrouvèrent jamais leur famille.
(Présentation : Tiziana Champey)
EXTRAIT P. 94-95 «A l’ombre des loups»
Eva demande aux plus jeunes des ses enfants d’être attentifs, d’être capables de se souvenir d’où ils viennent et de qui ils sont.
Elle leur dit : «Où que vous finissiez, même si je ne suis plus avec vous , souvenez-vous.» Et les enfants comprennent qu’il est important , très important de se souvenir de qui on est et d’où l’on vient.
«Répète-le, ma douce, répète-le et souviens-toi bien.
- Je m’appelle Monika Schukat, née à Gumbinnen le 9 mars 1936, fille d’Eva et de Rudolph.
- N’oublie pas les prénoms de tes frères et de tes soeurs.
- Je suis la fille d’Eva et de Rudolph. J’ai deux frères. Mon petit frère s’appelle Helmut et mon grand-frère Heinz. J’ai aussi deux soeurs, Brigitte et Renate.
- Quelle est ta nationalité ...
- Je suis allemande
- Maintenant, aux autres. A vous de dire qui vous êtes. Dites-le et souvenez-vous-en, quoi qu’il arrive. Vas-y, ma petite Renate, à toi.
- Je m’appelle Renate Schukat, née à Gumbinnen le 1er avril 1939, fille d’Eva et de Rudolph ...
- Helmut Schukat, né ... né ...» Il n’arrive plus à se rappeler et baisse honteusement la tête.
- Eva répète avec patience : «... né à Gumbinnen le 13 octobre 1940, fils d’Eva et de Rudolph ... Ensemble maintenant.»
Ils reprennent en choeur : «Helmut Schukat, né à Gumbinnene le 13 octobre 1940, fils d’Eva et de Rudolph. J’ai un frère qui s’appelle Heinz et trois soeurs : Brigitte, Renate et Monika.»
«Et je suis allemand», rajoute fièrement Helmut.
Des larmes apparaissent dans les yeux de sa mère.
«Pourquoi tu pleures, maman ...
- Essayez de ne pas vous vanter d’être allemands. Seulement, ne l’oubliez pas .»