À la ligne, feuillets d’usine de Joseph Ponthus est le premier roman de Joseph Ponthus. Il décrit avec minutie les journées de travail à l’usine, tout est détaillé avec précision, les horaires de nuit qui cassent le rythme du sommeil, la pénibilité, la lourdeur des carcasses qu’il faut suspendre et pousser sur des rails, une infinité de gestes répétitifs qui cassent les reins, les ruisseaux de sang qu’il faut nettoyer dans les abattoirs, l’odeur de poissons qui résiste au lavage, les doigts, les orteils bleuis par le froid, la souffrance des corps, le bruit assourdissant, l’abrutissement du travail à la chaîne, la fatigue extrême.
Pour un travailleur social qui a étudié à Hypokhâgne, l’usine c’est un choc physique, moral, existentiel, mais l’usine, c’est aussi la solidarité entre collègues, l’entraide, c’est l’endroit d’un travail absurde, abrutissant et paradoxalement, pour l’auteur, le lieu où il réfléchit, laisse divaguer ses pensées, convoque la littérature, les auteurs qu’il connaît, qu’il affectionne, le lieu aussi qui lui permet de découvrir et d’éprouver sa capacité de résistance.
Avec Joseph Ponthus, la vie ouvrière est un opéra, une corrida, il y a un souffle guerrier dans cette prose scandée, slamée, c’est une lutte contre les éléments, un combat qu’il gagne grâce à Apollinaire, Trenet, Satie, Monnet, Brel, Dumas, Ferré, Beckett, et tant d’autres figures tutélaires.
Et on respire, entre les lignes, avec les souvenirs d’enfance, le bonheur dominical, l’humour qui prend le pas sur la colère, l’amour qui apaise la rage.
Extraits :
....Je commence à travailler / J’égoutte du tofu / Je me répète cette phrase
Comme un mantra / Presque / Comme une formule magique
Sacramentelle / Un mot de passe
Une sorte de résumé de la vanité de l’existence du travail du monde entier de l’usine
Je me marre / J’essaie de chantonner dans ma tête
Y a d’la joie / du bon Trenet pour me motiver
Je pense aux fameux vers de Shakespeare où le monde est une scène dont nous ne sommes que
les mauvais acteurs....
....J’égoutte du tofu / Je me répète cette phrase / Comme un mantra
je me dis qu’il faut avoir une sacrée foi dans la paie qui finira bien par tomber
dans l’amour de l’absurde / ou dans la littérature
Pour continuer....
....On gagne des sous / Et l’usine nous bouffera
Et nous bouffe déjà / Mais ça on ne le dit pas
Car à l’usine / C’est comme chez Brel
“Monsieur / On ne dit pas / On ne dit pas”....
....Il y a les vivants les morts et ceux qui sont en mer.
Il y a les vivants les morts et ceux qui sont en guerre.
Quel rapport avec l'abattoir sinon le sang de la Grande Boucherie.
" Ah Dieu ! Que la guerre est jolie "/ Qu'il écrivait le Guillaume / Du fond de sa tranchée
Nettoyeur de tranchée / Nettoyeur d'abattoir
C'est presque tout pareil / Je me fais l'effet d'être à la guerre....
Un livre fondamental sur la condition ouvrière.
Joseph Ponthus est décédé d’un cancer foudroyant une année après la parution de ce livre qui a eu beaucoup de succès, a remporté le prix RTL Lire et Régine Déforges en 2019.
(Présentation : Simone Delorme)