"... c'est ça leur vie, attendre toute la journée le retour de leurs gamins ou de leur mari en accomplissant des tâches pratiques et concrètes pour tuer le temps. Et pour l'essentiel, c'est aussi la mienne"
Marie est debout devant la fenêtre, elle sent une fois encore une sourde angoisse l'envahir. Tout se brouille dans sa tête, elle se sent seule et perdue, et cette impression qu'elle passe à côté de la vie...
Et pourtant sa famille autour d'elle la relie à la vie : son mari, sa petite fille et surtout son fils et cette façon qu'il avait "de lire en moi, comme dans un livre, de sentir quand ça n'allait plus, que je commençais à dérailler, que la terre se fissurait sous mes pieds".
Un jour, en panne de voiture au bord de la route, elle est secourue par un de ceux que tout le monde appelle "les Kosovars": Irakiens, Iraniens, Afghans, Pakistanais, Soudanais, Kurdes qu'on avait délogés du camp de Sangate fermé définitivement. Des réfugiés livrés à eux-mêmes dans la rue qui ne cherchent qu'à passer en Angleterre, et qui n'avaient pour subsister qu'un morceau de pain et un bol de soupe.
Et un soir, sans savoir ce qui l'y a poussée, elle se retrouve sous la tente où viennent manger, s'habiller et se faire soigner ces hommes, "un foutu cortège de cauchemar, de misère et d'exil".
Et chaque jour elle va revenir. Marie va négliger sa famille, pour se consacrer à ce qui devient une nouvelle vie : donner un repas, un vêtement, de la chaleur humaine à ceux qui , démunis et abandonnés à leur sort de déracinés, errent comme des fantômes à travers la ville. Mais Marie est bien fragile et sa vie va basculer. Elle n'hésite plus à se mettre en danger, à aller au bout de ce qu'elle peut faire à tel point qu'on devient très inquiet pour elle. On aurait envie de l'arrêter, de lui dire "Attention tu vas trop loin", mais peut-être a-t-elle besoin de plonger dans l'horreur pour avoir une chance de sortir de cette folie où débouche son engagement.
(Présentation : Anne-Marie Smith)